Il est bizarre, le calendrier. Il est étrange. Cela faisait un moment que le lancement du nouveau site américain The Politico était prévu. La date était pour le 23 janvier, le jour du discours annuel du président américain sur l'état de l'Union. Le 23 janvier, c'est aussi le lendemain de la clôture des candidatures au départ de Libération, deuxième vague 2006-2007, des départs qui font du bruit, avec notamment celui du trio Haski-Mauriac-Riché, pour lancer un nouveau site web d'informations dans quelques mois.
Sans aucun doute, même si leur décision a été prise il y a quelques mois, le lancement du site américain n'aura que conforté leur décision de quitter Libération.
« start a multiplatform news organization with top journalists from scratch »
Plusieurs journalistes de renom aux États-Unis ont donc respectivement quitté leur employeurs pour participer au lancement hier d'un nouveau et fringuant site web accompagné d'un journal baptisé The Politico, exclusivement dédiés à la politique américaine à l'approche de la présidentielle de 2008.
La nouvelle entreprise créée par la société Allbritton Communications comprendra un journal paraissant trois fois par semaine lorsque le Congrès américain est en session, et un site web, Politico.com, accessible via politico.com ou thepolitico.com.
L'équipe comprend 50 personnes, dont 25 journalistes. Des journalistes bi-média de naissance, puisqu'ils réaliseront des vidéos pour accompagner sur le web leurs sujets, mais même multi-média car ils participeront aussi à des émissions de radio et de télévision.
La grande différence entre un site d'information communautaire à la Citizenbay, Agoravox, ou encore Wikio, c'est que là, la nouvelle publication web ET papier va compter sur les carnets d'adresse de tous les journalistes qui le constituent. Et le carnet d'adresses, pour un journaliste, c'est capital. En clair, ses dirigeants veulent vraiment miser sur la réputation des composants de leur salle de rédaction. Jim VandeHei a déclaré au New York Times qu’il « compte sur les doigts d’une main les fuites qui m’ont été révélées parce que j’étais au Washington Post. Les qualités des journalistes du Politico vont constituer un facteur plus déterminant que le nom du journal à proprement parler ». Le buzz sur le lancement de la publication a été particulièrement important, pour preuve la sélection d'articles recensée sur la page presse du site.
Tout comme la version papier, que certains commentateurs américains apellent déjà la "Dead-Tree Edition", le contenu du site internet est gratuit, et le restera. L'ajout de commentaires, qui est possible sur tous les articles, nécessite d'être enregistré sur le site. L'ajout de commentaire est décrit avec justesse : "Join the conversation", une formule qui n'est pas sans rappeler le tout nouveau slogan de Hillary Clinton, la candidate démocrate, qui a répondu en direct et en vidéo aux questions des internautes américains. Ses slogans sont "The Conversation Begins" ou encore "Let the Conversation Begin". Le journal papier aura donc, et c'est intelligent, une périodicité variable, selon l'actualité politique. Une façon de se faire désirer, aussi. Il paraîtra à 30 000 exemplaires trois fois par semaine, lorsque le congrès sera en session.
« build your dream news organization »
Les relations des journalistes et créateurs du site ont permis de nouer des partenariats de choix : les journalistes du Politico participeront aussi à des émissions sur CBS et NewsChannel 8. En échange, on peut voir sur la page d'accueil du Politico une "boîte" (comme on dit dans le jargon du design web) qui affiche des liens vers des articles de CBS News, et ce même si The Politico ne fait pas encore partie des partenaires affichés en bas de la page Politics du site de CBS. The Politico s'est bien entouré : il est financé par Allbritton Communications, une compagnie importante du secteur des médias à la tête de plusieurs canaux de télévision. Un vrai budget à la disposition de l'entreprise, qui a pu offrir à ses journalistes des vrais salaires, capables de convaincre les plus récalcitrants.
Et c'est peut être ce qui fera, et pendant longtemps, la différence entre les projets américains de cette envergure et les projets français. Et oui, nous ne sommes pas aux États-Unis. Tant mieux, diront certains, mais il faut se souvenir des polémiques soulevées par le montant dérisoire des rétributions proposées par des sites comme CitizenBay, par exemple.
Alors les financiers, les business angels, les capitaux risqueurs européens et français feraient bien de s'inspirer de ce modèle américain. Modèle? Déjà? Mais le projet vient d'être mis en place! C'est ça le web et les médias. Des fois, il y a des projets qui, si bien ficelés et tellement bien préparés que on a vraiment envie qu'ils réussissent, et on ne voit pas comment ils ne seraient pas couronnés de succès. Si succès il y a, les gens seront peut-être prêts, plus tard, à payer leur Politico version papier. Selon le directeur de la publication, Robert L. Allbritton, The Politico serait en mesure de dégager des bénéfices d’ici cinq ans, grâce aux recettes publicitaires uniquement. Les observateurs des médias seront bien entendu attentifs à cette promesse.