Les prises de position de Libé, on connaît. Contre Le Pen, contre Sarkozy ou Chirac. Pour le plus grand plaisir de ceux qui l’achètent.
Mais quand Libé critique les choix de certains lecteurs, le public se montre moins tendre. Le 30 mai 2005, Serge July avait qualifié les partisans du ‘non’ au référendum de masochistes dans son édito, humiliant par là une bonne partie de son lectorat.
Libé n’a enregistré que 79 abonnements de moins entre mai et juin 2005. Pas de résiliation massive, les abonnés de Libé restent fidèles. Mais les ventes en kiosque ont plombé le titre, en chutant de 6% en 2005 et de 11% en 2006.
Non content d’avoir balayé l’aile gauche de son public en 2005, Libé en a remis une couche. Dans un nouvel édito la semaine dernière, Laurent Joffrin a accusé les supporters de Bayrou de se tromper et de tomber dans le panneau tendu de la droite. Les réactions ne se sont pas fait attendre, les lecteurs visés se sentant à leur tour trahis, les autres applaudissant des deux mains. Il est encore trop tôt pour tirer les conséquences sur les ventes de cette nouvelle baffe, mais l’attaque frontale contre ses clients reste une stratégie commerciale qui paye peu.
Pas question pourtant d’aller vers un journalisme plus neutre ou plus plat. Le groupe Pearson, qui engrange les bénéfices de la croissance à deux chiffres de son cinglant newsmagazine, The Economist, incite dorénavant les journalistes du Financial Time à prendre parti quand ils rédigent leurs papiers.
Les infos pour le site web, l’analyse et les prises de position pour le papier. La recette est connue, reste à trouver le bon ton.
Pour un journal comme Libé, dont le seul positionnement est d’être à gauche, la tâche s’annonce ardue. Entre les lecteurs de la gauche trotsko-besanceniste, qui méprisent les lecteurs de gauche libéro-bayroutiste, qui eux-mêmes ont quitté la gauche traditionalo-ségoliste à cause de ses compromis avec la gauche souveraino-chevènementiste, difficile de faire un édito qui ne froisse personne.
Comme l’a dit François Bonnet, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, aux Assises du Journalisme, Libé a décroché de ses lecteurs.
L’étiquette ‘de gauche’ n’est plus un critère de segmentation pertinent aujourd’hui. Libé, qui compte moins de lecteurs que le PS d’adhérents, doit redéfinir sa cible. Sans positionnement clair, le journal sera bientôt aussi populaire que Fabius.
A défaut d’être le journal de la gauche, il reste celui le plus détesté par la droite. Un journal de merde, selon Sarkozy, qui s’est plaint à Rothschild du ton anti-Sarko de certains articles.
Mais à une époque où même les profs se mettent à voter au centre, ne pas être de droite ne suffit plus.
Nicolas Kayser–Bril
Étudiant en quatrième année à Sciences-Po Lille, Nicolas Kayser–Bril rédige en ce moment un mémoire sur les avantages comparatifs de la presse sur internet, par rapport aux groupes radio, TV et pure players.
Après les cross-postings de Denis Balencourt et Thierry Maillet, Nicolas Kayser–Bril vient étoffer le contenu de l'Observatoire des médias. Envoyez-moi un mail si vous voulez participer au débat ici!
Nicolas Kayser-Bril est étudiant en économie des médias. Il blogue sur Window on the Media et prépare actuellement une étude des médias postsoviétiques avec le projet Vostok2.0