Avec l’arrivée d’un nouveau média, le web, nous assistons à une nouvelle organisation de la diffusion de l’information. Cela prend un certain temps à se mettre en place, pour des raisons d’accès au média lui-même et en particulier à son support spécifique: l’Internet. Pour autant son établissement est des plus rapides, bien plus que la télévision qui elle-même avait été plus rapide que la radio… ne parlons pas de l’imprimé qui a mis plusieurs siècles pour être popularisé.
L’arrivée de chacun a marqué un bouleversement dans un premier temps au niveau du contrôle de l’information puis dans le rapport même à la société (par exemple on peut noter la remise en cause de l’Église comme unique vecteur culturel avec l’apparition de l’imprimerie en Europe, la remise en cause d’une élite puis la revendication de l’instruction comme un droit).
Ces derniers mois, au sein du web, apparaissent des sites proposant une diffusion payante de l’information: Arrêts sur images, Mediapart pour les plus connus ; quand le web généralise la gratuité déjà expérimentée par ailleurs (assez récemment pour la presse écrite il est vrai). Parallèlement à ces créations de nombreuses réflexions ont lieu sur les modèles économiques qu’il est possible de mettre en place pour garantir la survie d’un service en ligne. Cette problématique, consubstantielle à toute création d’entreprise, est ici plus perceptible encore dans un secteur très dynamique et, par son côté innovant, naturellement associé à la prise de risque. La présence de son questionnement semble pourtant être plus grande ces dernières semaines, peut-être en raison d’une crise financière annoncée et d’une prise de conscience de grands acteurs industriels de plus en plus concurrencés, en particulier pour la production immatérielle.
Si le modèle du payant, ou du partiellement payant (certains articles publiques faisant office de publicité), n’est pas plus critiquable que d’autres, l’entreprise de communication est notable. Il ne s’agit pas simplement de vanter les mérites intrinsèques du « contenu » publié, ni même de justifier le caractère payant de son accès mais de condamner même tout autre modèle économique sans référence à une concurrence d’aucune sorte.
Quel phénomène explique-t-il cette entreprise de communication étrange ? Pourquoi le journalisme semble-t-il particulièrement virulent ? D’autres secteurs comme la musique et le cinéma sont en réalité bien plus actifs mais à un niveau juridique en proposant des lois, en les rédigeant et en les faisant voter. L’utilisation d’arguments rhétoriques incite à penser qu’il y aurait discussion autour d’un projet plutôt qu’une installation d’un cadre disciplinaire, mais en dépassant la problématique de l’usage et la proposition d’un service c’est une autre cible que le client éventuel qui est visée. Les services de presse payante ne s’adressent pas à leurs usagers mais s’inscrivent dans un débat préexistant au sein même de la profession du journalisme au sujet de la redéfinition actuelle de ses interdépendances vis à vis de la société.
Il est remarquable que cette fronde anti-gratuit est originaire de grands noms du journalisme, vantant en premier lieu toute indépendance économique et l’investissement de capitaux personnels, quand de nombreux journalistes moins connus choisissent le modèle de la gratuité. Dans un deuxième temps c’est la qualité qui en découlerait, naturellement, par l’intermédiaire de la traçabilité de la production à la consommation: l’auteur est mis en avant de l’information elle-même, la réputation située dans un cadre plus général (importée du monde de la presse écrite par exemple) est répétée, la participation est subordonné au paiement même en cas de contenu publicitaire (contenu rendu publique pour attirer des abonnés éventuels) repoussant l’internaute qui s’habitue à être usager au rôle de client, de consommateur passif à la rigueur émetteur d’opinion mais pas acteur ni collaborateur.
Car l’internaute de son côté croise habituellement l’information, la recoupe suivant plusieurs sites, reconnaît à l’occasion la réécriture de dépêche, l’éditorial gratuit, le micro-trottoir, l’expertise scientifique (ou non), l’enquête journalistique parfois. Souvent il constate que l’indépendance revendiquée est fictive pour des raisons économiques ou politiques. Il est aussi capable de la diffuser à son tour par le lien vers sa source, la copie pure et simple, la réécriture ou la référence implicite (voire inconsciente) au sein d’une oeuvre originale, avec une puissance égale à tout autre acteur médiatique. Le repousser dans un rôle passif c’est considérer l’information comme un produit du capital que représente la position de diffuseur, le partage et la redistribution ne pouvant se concevoir qu’après la création de richesse même si dans les faits, comme nous l’avons vu précédemment, celle-ci est très contestable et très contestée (contestation médiatisée uniquement sur le web). Pour l’industrie médiatique en revanche le web remet en cause l’existence même d’un capital relatif à l’information (il reste les FAI, mais malgré les tentatives d’autres secteurs industriels pour percevoir une taxe ceux-ci agissent sur le support et non sur le média ; certains comme Free, perspicaces, prenant bien soin de ne pas mettre un seul pied dans le web proprement dit).
Le web ne représente pas forcément plus que les autres médias, mais son arrivée se télescopant avec l’assimilation du mass-media par l’industrie et en coïncidant avec d’autres évolutions techniques et sociétales il perturbes les représentations individuelles et collectives. Plus exactement il déplace les intérêts de nombreux acteurs économiques (ou diplomatiques, comme la Chine) déjà sous pression par ailleurs.