L'Observatoire des médias

Les médias chinois sont fantastiques

C’était ce mercredi matin pendant la Matinale de Canal +. Un journaliste chinois était l’invité de Brice Toussaint. Cette séquence a fait fait réagir une personne qui n’a pas l’habitude de poster sur un blog, mais je lui ai demandé de me livrer ses impressions, les voici:

Comme beaucoup de Chinois, représentants officiels ou, parfois simple quidams (couple vu par exemple dans la chronique de Mouloud dans la matinale de mardi 8 avril), ce journaliste diffuse un message uniforme qui élude la question des événements récents du Tibet et qui renvoie toujours à l’aspect Tibet chinois/pas chinois, ou dans le cadre plus spécifique du passage de la flamme olympique à Paris, à l’aspect « violent » des actions menées par les pro-boycott. En résumé, le message est qu’il n’y a aucun problème qui mérite que la France ou toute autre nation puisse l’ouvrir et donner des leçons: de toute façon, excepté en Chine où tout le monde il est beau, tout le monde il est prospère, nous sommes tous des ignares, incompétents, racistes et ayant une tendance au terrorisme. Je ne m’abaisserai pas à dire que c’est celui qui dit qui est mais c’est drôlement tentant. Il y a les terroristes qui posent des bombes mais il y en a d’autres qui imposent leur point de vue en tournant en dérision ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, au mieux, en les insultant, au pire.

Ma position personnelle est certes pro-tibetaine. Un Tibet autonome, voire souverain, avec une légère tendance pour un respect équitable des aspirations des deux nations.

Je suis pourtant opposé à l’amalgame récent qui vise à boycotter les jeux olympiques dans le but de revendiquer cette position ou de protester contre le comportement récent des autorités chinoises envers les manifestants tibétains, en s’en prenant au symbole olympique qu’est la flamme. Ce rendez-vous sportif n’a rien à voir avec la Chine ou avec le Tibet, chinois ou pas chinois et la flamme non plus.

Mais, il n’y a pas peut être pas d’autres solutions pour que l’on parle dans les médias de ce problème (parce qu’il n’est pas nouveau non plus ce problème).

Est-ce une raison pour jouer les victimes d’une campagne soi-disant raciste qui ne serait qu’un honteux terrorisme intellectuel envers ces gentils communistes venus apporter le bonheur, la prospérité et la félicité à ces barbares arriérés de tibétains qui ne sont tout juste bon qu’à pousser de graves râles en lévitant ? La Chine revendique la souveraineté sur le Tibet : tous les Tibétains ne sont pas d’accord, certains l’affirment tout bas, d’autres tout haut.

Le journaliste chinois nous affirme qu’il n’y a pas eu de répression au Tibet: la preuve, il n’y a aucune photo qui le montre. J’eusse aimé en avoir plus, des photos, et d’autres formes de documents : peut-être que si les journalistes pouvaient circuler librement, peut-être que si les Chinois et les Tibétains de tous bords pouvaient s’exprimer librement; peut-être qu’on pourrait se faire une idée plus exacte, ici, chez nous. Les deux affirmations sont fausses bien sûr : nous avons vu quelques images récentes de Tibetains blessés, ou encore forcés d’être contrits de regrets et humiliés d’avoir à s’excuser d’être des « terroristes » – et c’est bien du terroriste que de forcer quelqu’un à énoncer des paroles qui ne sont pas en accord avec ses convictions.

Mais il y a aussi des attaques contre les commerçants chinois au Tibet qui sont inacceptables, même en réponse aux attaques précédentes des moines, ou la destruction systématique des monastères ou autres signes culturels tibétains. Il faut condamner autant les violences des tibétains que celle des chinois dans cette affaire.

C’est un peu comme si le gouvernement français détruisait systématiquement les monuments druidiques de Bretagne et réprimait les bretons qui s’y opposeraient, tout en niant absolument cette destruction, tout comme cette répression. Je condamnerais fermement mon gouvernement de se livrer à de telles exactions et je comprendrais qu’au bout de 50 ans d’une telle situation certains puissent se laisser aller à user de violence pour se défendre, même si je ne peux approuver cette solution.

Le journaliste chinois nous exhume également un manuel de géographie de 1830 (!) ou un géographe affirmerait l’appartenance du Tibet à la Chine. Je ne suis pas géographe, mais il me semble que le monde a largement été redessiné depuis 1830, à tort ou à raison. Ce n’est pas le problème. Je ne suis pas historien non plus, et je n’opposerai pas les arguments qui situent la naissance du Royaume du Tibet au VII siècle, ou les différentes allégeances ou scission, ou alliance entre l’Empire de Chine et le Royaume du Tibet (c’était quand même sympa cette histoire d’échange de bon procédé : je te défends matériellement et toi tu me défends spirituellement. Constructif même).

Peu importe d’ailleurs : je suis près à reconnaître le Tibet comme province de la République Populaire de Chine. Tout comme je considère que la Bretagne est une partie de la République Française, mais je ne nierais pas qu’elle fut un duché souverain et autonome à une certaine époque de notre histoire. Mais je ne serais pas d’accord avec le gouvernement français si celui ci s’evertuait à faire disparaître tout trace de culture celte ou bretonne dans cette région.

Le journaliste chinois parle d’un comportement raciste des Français envers les Chinois : voilà encore un amalgame abusif. Les heures les plus sombres… rien que ça… J’ose espérer que la presse chinoise ne raconte pas à ses lecteurs qu’il y a des « ratonnades » anti-chinoises en France non plus. La plupart de ceux qui ont manifesté récemment leur désaccord l’ont fait envers le gouvernement chinois et sa politique et non pas envers le peuple chinois, était-il nécessaire de le préciser.

J’imagine qu’il est difficile (et dangereux) pour un journaliste chinois d’exprimer une position radicalement opposée à celle de son gouvernement, mais lui permettre de s’exprimer en tant que porteur du sentiment général est peut-être un peu déplacé. Surtout quand on dirait un porte-parole officiel de l’ambassade de Chine. Et il se définit comme modéré !

Rappelons tout de même que dans des guides tels que le Lonely Planet, ou le Guide du Routard, on déconseille de parler du Tibet à un Chinois en Chine. À l’inverse, un Chinois pourra parler des Basques, des Corses, des Bretons, des Néo-calédoniens, etc, sans risque.

Le journaliste chinois évoque un boycott touristique de la France par les Chinois : on se retrouve dans une situation similaire à celle qui opposait Français et Américains, lorsqu’il était question d’attaquer l’Irak de Sadam HUSSEIN. Tant pis, si des chinois ne veulent pas venir en France pour quelque raison : ça ne fera pas changer d’avis personne sur le fait que ce journaliste nous sert une propagande qui semble tout droit rédigée par le gouvernement chinois, tout en faisant sa petite leçon de déontologie à l’ensemble des médias français.

Alors oui, en France, la presse écrite ou audiovisuelle en ce moment, c’est pas terrible. J’aimerais en effet qu’elle parle un peu plus de ce qui se serait passé vendredi au « Pure Girl Bar » de Beijing, cette histoire de descente de police anti-drogue, d’adolescentes dénudées et fouillées et de sac sur la tête par exemple…

Mais lorsque la presse chinoise parle d’incompétence : est ce parce que la police française n’a pas tiré sur la foule qu’elle est qualifiée d’incompétente ?

Le journaliste chinois asserte que les Chinois connaissent mieux la vérité que les Français. « Seven years in Tibet » a-t-il été projeté en salles en Chine ? Ou même a-t-on seulement pu lire dans la presse que ce film a du être tourné en Argentine parce que le gouvernement chinois avait fait pression pour éviter qu’il soit tourner en Inde, au Népal ou au Tibet ?

Alors d’accord, on peut nous parler de l’Algérie, de son occupation par la France, de la torture pendant la guerre, du secret que les gouvernements français successifs depuis l’indépendance nous ont imposé. Oui, c’est vrai : mais ce n’est pas une raison pour la fermer pour le Tibet. Et puis, on peut en voir en salle des films sur l’Algérie, avant, après, pendant l’occupation française.

Beau dessein que de donner la parole à un Chinois, à l’origine. Mais pour entendre la même rengaine (on ne doit pas se mêler de leurs histoires, on y connait rien et on ferait mieux de balayer devant notre porte), c’était vraiment raté.

Et si la prochaine fois Canal+ donnait la parole à un Tibétain, chiche !

Eli Godroj

PS : je crois que je n’ai vraiment pas le droit de mettre un exrtrait de Canal+, j’espère ne pas récolter leurs foudres.