Louis UCHITELLE est un grand journaliste économique du New York Times. Il a ouvert le débat sur les licenciements aux États-Unis grâce à la publication de ce livre.
Dans cette enquête, Louis Uchitelle, chef du service économique du New York Times, démontre qu’en vingt-cinq ans la multiplication des licenciements a ébranlé la confiance des Américains. Qu’ils soient cadres dirigeants, employés ou ouvriers, tous vivent désormais avec la peur de perdre leur emploi. Face aux conséquences désastreuses de la mondialisation sur l’emploi aux États-Unis, Louis Uchitelle appelle à une intervention volontariste de l’État. Il propose des mesures précises pour remédier à la crise actuelle.
Extrait du livre :
Des mythes qui nous aveuglent
Voilà deux décennies que le licenciement sous sa forme moderne est apparu comme un phénomène de masse dans la vie américaine. On tâchait jusque-là d’éviter les licenciements, lesquels marquaient un échec pour la vie de l’entreprise et contrevenaient à l’idée qu’on se faisait de relations de travail acceptables. Au fil des années, l’interruption définitive des fonctions d’un employé, imposée brusquement et contre sa volonté, est cependant devenue une pratique de gestion courante, à telle enseigne qu’à la fin des années 1990, on en vint tout bonnement à l’accepter. L’accepter, c’est-à-dire se résigner, faute de n’y voir aucune alternative. Nous nous sommes résignés aux licenciements comme s’il ne pouvait en aller autrement. Et nous les justifions aujourd’hui comme un mal nécessaire.
Trois mythes nous encouragent dans cette voie. Le premier nous promet une récompense. De tant de licenciements douloureux -depuis le début des années 1980, au moins 30 millions de personnes travaillant à temps plein ont été chassées de leur emploi -, le marché du travail américain sortira revitalisé, assurant le retour au plein-emploi, la fin de la précarité et une hausse des salaires. Soyez patients, nous dit-on : toute évolution significative de l’économie de marché depuis Adam Smith s’est accompagnée d’une phase de privations et de bouleversements, suivie d’un retour à l’équilibre. Le cycle actuel n’y fait point exception. La renaissance et la stabilité succéderont aux ravages du moment présent. Seulement, de récompense, on n’en voit poindre aucune à l’horizon. Les vagues de licenciements se succèdent sans coup férir. Certaines sont inéluctables et résultent de l’adaptation des entreprises américaines à une concurrence étrangère de plus en plus féroce. Mais il n’y a pas eu de retour à l’ancienne stabilité. Si nouvel équilibre il y a, c’est celui qui, bénéficiant du consentement général, a pour effet pervers de produire bien plus de licenciements que ne l’exigent les aléas de l’économie. Ce qui procéda dans un premier temps d’une réaction légitime de l’Amérique face au déclin de sa position hégémonique s’est transformé en un état de fait permanent et démoralisant.
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