[Vous le savez peut-être, le site de Libération va changer bientôt. Une nouvelle version est en développement. C’est finalement la société Nstein qui a été choisie pour la réaliser. Dans les changements à venir on espère que les commentaires vont être centralisés, un single sing-on sur toute la plate-forme. Les Libénautes de la première heure discutent sur les forums de Libération. Discutent-ils vraiment en dessous des articles du site? Réactions? Vrais commentaires construits?
Aujourd’hui, la galaxie web de Libé, c’est un cms installé par British Telecom pour www.liberation.fr, un SPIP pour www.ecrans.fr, TypePad pour ses blogs, comme pour ses sites de Villes, WordPress pour www.libelabo.fr, puis Drupal pour voyages.liberation.fr et next.liberation.fr.
Est-ce que Nstein va tout rassembler? Ou est-ce que le nouveau système ne va s’occuper « que » du quotidien?
En attendant, j’ai reçu un mail de Julien Dorra, concepteur de DVD Interactifs, de projets web et d’installations numériques. Il tient un blog, avec une jolie url : http://ils.sont.la , tout simplement. Julien a écrit un billet sur les commentaires sur le site de Libération. Julien ne savait pas que le site était en train d’être refait, et quelque part, c’est tant mieux.
Lisons-le : ]
«Vous êtes le garant de la qualité de votre site, et donc de la qualité de ses commentaires.»
Les commentaires sur liberation.com sont fatiguants, agressifs et répétitifs. Je ne vous apprends rien ! C’est à tel point que cela nuit à l’image du journal. Difficile d’en rendre compte en citant un commentaire isolé, car tout est dans l’ambiance générale et dans les réactions aux réactions. Mais est-ce « la faute aux lecteurs » ? Non, car liberation.com commet 5 erreurs que vous ne devez surtout pas commettre si votre site est ouvert aux commentaires. Commençons par quelques exemples récents…
Les principaux problèmes qualitatifs identifiables sont la présence de nombreux trolls ridiculisant ouvertement le journal, ses journalistes et ses lecteurs, l’absence d’informations complémentaires et de liens venant enrichir l’article, la bipolarisation des échanges et la répétition stérile des mêmes formules et des commentaires fermés très rapidement, ne laissant la voix qu’aux plus rapides et au plus nerveux.
- Agressif «Jeune et bete Au lieu de frimer (…) en boîte de nuit les « jeunes » devraient travailler leurs cours ! 1 sur 2 seulement réussit en Fac : la honte. (..)»
- Troll «C’ets ca qui est amusant sur Libé. AVnat même d’avoir lu la fin d’un article, je sasi déjà quelles vont être les réaction de nos chers libernautes… Ah Pavlov…»
- Le mythique bobo «a fier parisien (…) plus fier qu’un gogo et bobo à paillettes maire de Paris, croyant à un destin national il fait n’importe quoi,il est tendance comme le sont les fiers bobos parisiens (…)»
- Et enfin, un bon résumé «oops ca craint bah dites donc, pas joli joli ces commentaires haineux. Je me méfie toujours de ces gens qui éructent, gueulent, leur soif de vengeance. C’est malsain…»
Est-ce une fatalité ? Est-ce le résultat de la pauvreté inhérente au web dont certains nous parlent encore régulièrement? Au contraire, cette médiocrité est le résultat de la négligence du journal, et de 5 erreurs en particulier.
Les 5 erreurs de liberation.com — à ne pas commettre sur votre site !
Vous êtes le garant de la qualité de votre site, et donc de la qualité de ses commentaires. Pour vos visiteurs, les commentaires font partie du site. Ne reproduisez donc pas les 5 erreurs de liberation.com.
1. Participation des journalistes : zéro
Jamais un journaliste ne vient défendre son analyse, la préciser ou simplement apporter un suivi. Publish and forget n’est pas une attitude tenable lorsqu’un article va rester en ligne des jours et des jours, puis des années dans les archives.
Le résultat de cette absence, ce sont des commentaires sans point pivot. Ils tournent à vide : pas d’apport informatifs complémentaire, pas de dialogue.
2. Exigences éditoriales : l’ultra-minimum des « réactions »
Libération tient en page d’accueil le compte des commentaires de chaque article « 11 réactions » à un article sport, « 174 réactions » à celui sur le Président de la république, etc. Le terme de « réactions » est ici très adéquat. Il fait en effet bien plus penser à une opinion jeté dans l’immédiat qu’à une pensée articulée et informée.
Les lecteurs sont appelés à « réagir », sans aucune exigences d’analyse, d’apport de fait ou de témoignages — qui font pourtant l’essentiel d’un journal. On se croirait à la télé, du moins ce dont je m’en souviens !
Comme il n’y aucune attente de la part de l’équipe de liberation.com, les rares commentaires de qualités ne sont donc pas plus légitimes que les invectives et les moqueries.
3. Suivi des conversations : pas d’ennui, c’est tout ce qu’on veux
Une équipe, mystérieuse, valide tout message avant qu’il soit publié. Les commentaires sont rapidement évalués, selon des critères tenues secrets, et ensuite publiés. Le tout prend quelques minutes un dimanche. Quand plusieurs messages sont étrangements supprimés, on peut parfois arriver à deviner certains critères : tous mes messages contenant des liens externes ont été supprimées — et cela sans aucun rapport avec le contenu informatif du lien, bien entendu.
Enfin, les commentaires sont clos très rapidement. Je n’ai pas trouvé le délai exact, autour de 48h, mais cela empêche évidemment la conversation de se construire avec un peu de recul, voire de donner la conclusion d’un évènement.
On comprend que la modération a comme unique angle de faire disparaître les ennuis potentiels. Au détriment du recul et de l’ouverture vers l’extérieur.
4. Esprit communautaire : débrouillez-vous
Si j’apprécie les commentaires d’un lecteur, il me sera impossible de lire ses interventions passées, ou future. Si je veux retrouver les conversations auquel j’ai participé, pas possible non plus. Et si je veux être averti d’une réponse à mon commentaire ? Ça n’existe pas.
Pas moyen de réserver son login pour être reconnu à coup sur par les autres. Comment créer un embryon d’auto-régulation dans la discussion, si ceux qui sont les plus assidus ne peuvent pas se reconnaître à coup sur ?
La micro-communauté des lecteurs est donc obligé de bricoler.
5. Valorisation : gênée et paradoxale
Libé met une importante distance entre ses articles et les commentaires. On se demande d’ailleurs si l’équipe ne réalise pas en secret qu’en l’état actuel, les commentaires nuisent au journal, à son sérieux, à son image.
Il est en effet impossible de rejoindre directement les commentaires depuis le comptage qui apparait pourtant en page d’accueil. Il faut rejoindre l’article. Mais une fois sur l’article, seul des extraits tronqués des 10 derniers commentaires sont lisibles. Il faut là encore rejoindre une page spécifique, ou pour nous faciliter la vie, nous ne pouvont les lires que 10 par 10… Pour gonfler les pages vues ?
Bien sur, une fois sur cette page qui donne accès aux commentaires complets, nous sommes totalement séparé de l’article. Nous sommes invités à lire et à commenter sur un texte que nous n’avons plus sous les yeux.
Plus qu’une extension de l’article, les commentaires semblent pour libération être un parasite que l’on est bien obligé de subir — tout en le tenant à distance.
Si vous gérez un site ouvert aux commentaires, si vous publiez un blog, fixez-vous des objectifs en matière de commentaire. Vous améliorerez la participation de tous. Au final, le site et les lecteurs y gagneront. Espérons que libé s’y mettent !
PS : Cette liste concerne les commentaires du site principal de libé. Certaines autres sections, comme libélabo ou libévilles fonctionnent différemment : ce sont en fait de simples blog. Les commentaires sont donc gérés par un système différent. Et les journalistes-bloggers y répondent même parfois !
[Pour poursuivre sur le même sujet sur http://www.observatoiredesmedias.com :
De plus, saviez-vous que votre commentaire sur Libé est automatiquement saqué s’il contient un lien ?
Ce dernier peut-être intéressant, soutenir le propos, complémentaire à la « réaction » ou simplement un spam, il subira le sort poubelle.
Et oui, c’est ça libé et le mode participatif, c’est ça libé et le Web. Franchement j’en suis encore à lire les articles sans jamais dérouler les commentaires et je le ferais tant qu’un filtrage aussi stupide sera effectué sur ces derniers.
@laurent : oui, je m’en suis aperçu aussi, je le précise dans mon point 4.
Ce n’est écrit nulle part sur le site, et c’est d’ailleurs pour cela que l’on pourrait dire en 4bis : Des règles de modération obscures et mystérieuses mène à la frustration des participants.
J’ai lancé une discussion sur un sujet un peu complémentaire sur le sujet des commentaires
http://atelier.rfi.fr/forum/topic/show?id=1189413%3ATopic%3A25851
Je prends l’exemple de 20 minutes et lepost qui ont du fermer leur commentaires sur l’affaires Draguigan.
Il me semble que ce qui semble avoir créé des problèmes est l’absence de visibilité de modération.
Les volumes peuvent être trés important et il faut étudier des outils pour dégager un sens à ces commentaires-réactions. Avis à amateur…
Après rapide examen, je ne trouve pas les commentaires sur Libé pires que ceux du Figaro ou de 20 minutes (où on atteint des sommets).
@souris_verte
Il ne s’agissait bien sur pas de dire que les commentaires de libérations sont pires ou meilleures que les autres. (Les critères d’évaluation restent de toute manière à définir en détails : apport d’information, témoignage complémentaires, citation de source, etc.)
Je ne suis d’ailleurs pas convaincu qu’un comparatif soit utile. J’ai en effet préféré identifier les blocages propres à libé, blocages qui empêchent libération d’utiliser le potentiel des commentaires.
Libé a de plus un passé de journal plus communautaire, plus proche de ses lecteurs. Ce passé ouvert génère une attente plus haute, un désir d’interaction qui est restée globalement sans réponse.
messieurs, je vous recommande un article qu’avait publié ici même Sophie Falguères : Interactivité et PQN : quand la parole des lecteurs reste aux portes des rédactions web.