L’affaire de la vraie-fausse photo volée de Laure Manaudou à la une de l’Equipe a fait récemment beaucoup de bruit chez les médias. Pour rappel le quotidien sportif avait pris en photo une inconnue qui ressemblait vaguement (ou complètement, peu importe) à la championne et il n’en avait pas fallu plus pour en faire le prétexte à la création d’une actualité, une fois la légende apposée à l’image.
Il y a quelques jours Philippe Val, directeur de Charlie-Hebdo, était interviewé sur France-Culture autour du sujet de la relation entre la presse et la justice au tavers du problème de la diffamation. Grand défenseur de la liberté d’expression il mettait néanmions en garde les libertaires du risque de la diffamation qui découlerait d’une trop grande liberté, en particulier sur le web. On pourrait se demander pourquoi spécialement internet qui semble statistiquement assez calme sur ce sujet quand les médias de masse n’en reprennent pas des informations non vérifiées pour en faire la caisse de résonance.
Dans le numéro de février de 01Informatique, Francis Villacampa reprend une analyse d’Alladin, éditeur de solutions de sécurité, selon laquelle tout internaute aurait intérêt à s’inscrire sur tous les réseaux sociaux, quand bien même il n’en serait pas usager. Au-delà de la simple diffamation le risque encouru ne serait ni plus ni moins que l’usurpation d’identité. Il s’agit d’une analyse importante qui met en relief le risque encouru aujourd’hui par notre modélisation de l’espace social, au-delà de la simple réputation-diffamation puisqu’elle pointe le péril de la remise en question de nos moyens d’existence.
Dans le monde réel la construction de l’identité est un phénomène long et complexe pour l’individu. A travers le temps et les sociétés de nombreux outils ont été inventés par les hommes pour répondre à diverses problématiques qu’engendrent cette question. Dans notre société occidentale actuelle, à la base du développement d’internet, les individus utilisent couramment des outils d’identification pour marquer leur existence, présupposant ainsi celle d’une entité supérieur garantissant la centralisation et l’unicité de ceux-ci, et le rattachement à des droits: l’état-civil. Comme le sous-entendait Philippe Val cette notion est fortement liée à celle de la justice. Pour autant cette représentation étatique n’est qu’une modélisation et confondre état-civil et identité relève du fétichisme.
Ce fétichisme est bien réel mais la problématique rencontrée est celle de son adéquation avec le dynamisme des échanges sociaux plutôt que d’un simple niveau de contrôle. Disons que le dysfonctionnement restreint est structurel et tend à devenir une crise du même ordre. Jean-Marie Leray nous rappelle, dans Nous sommes tous des personnages publics, que le web, parce qu’il s’inscrit dans un mouvement plus profond de recours à la transparence (phénomène culturel ou civilisationnel qui n’est pas sans générer quelques conflits) poussera un jour tout individu à devenir personnage public mettant sur la place publique de nombreuses informations, redéfinissant ainsi une articulation autre que l’actuelle publique/privé/intime (une organisation unidimensionnelle est difficilement envisageable), sans pour cela être obligé à la paranoïa.
Si je m’ouvre à toi lecteur en t’annonçant tout de go que Bibill trompe Marsouine avec Nounette, sa meilleur amie, tu t’en moqueras sans doute si tu ne connais ni les uns ni les autres, sauf à écrire une bonne histoire (ce qui manque peut-être au consommateur-lecteur de presse, qu’elle soit people ou autre). Ce qui forme une diffamation, ou une usurpation, c’est l’utilisation d’un moyen d’identification et la confiance qu’on y apporte. Dans la vie réelle ce détournement de la centralisation de moyens d’identification ne se retrouve que dans des rapports hiérarchiques conçus autour d’objectifs de productivité un peu aliénants, tandis que dans une relation humaine il devient une violence certaine (ce « il » étatique, plutôt que de devenir un « je » utile est transformé en « tu » propre à l’insulte).
On pourrait proposer deux points de vue diamétralement opposés:
- Il est urgent de créer un nouvel état-civil regroupant des outils de reconnaissance et empêchant tout usage particulier de moyens centralisés d’identification.
- Le ressort du web n’étant pas celui du media de masse, avec un fonctionnement plus symétrique, ces quelques tensions qui s’expriment à la frontière de ces deux univers sont inévitables et sans doute temporaires.
Corrolaire: La non identification de soi (cyber-anonymat) c’est l’auto-protection contre la diffamation… par… par…
http://ysengrimus.wordpress.com/2008/11/29/le-cyber-anonymat-symptome-purulent-du-mal-entrepreneurial-de-notre-%C2%ABdemocratie%C2%BB-paradoxale/
Mais qui donc nous diffame?
Paul Laurendeau
Je ne suis pas sûr que ce soit l’anonymat, ou plutôt la multiplicité des outils de reconnaissance, qui soit un symptôme particulier. Il s’agirait plutôt d’un phénomène naturel comme le fait d’appeler sa mère « maman » et son père « papa » encore longtemps après avoir appris qu’ils ont l’un et l’autre d’autres noms officiels. Mais il est possible que dans le cadre d’individualités institutionnalisées, comme la monarchie, ces appellations ne soient pas autorisées et que l’enfant de bas âge sache déjà appeler son parent par son nom voire son titre. Il s’agit là d’exceptions car la multitude de personnes institutionnelles est difficile.
Une personne qui s’adresse à d’autres sur le net ne le fait pas non plus nécessairement publiquement (le web n’est sans doute pas un espace public comme on le conçoit à partir du média de masse), et enfin l’auto-soumission à un ordre supérieur ne permet pas plus une intégration que l’usage d’un pseudonyme: l’état-civil n’existe pas sur internet, non pas qu’il ne soit pas contrôlé mais de par son inutilité. A partir d’un moment il va falloir qu’on comprenne que l’ordre social est utile avant d’être source de pouvoir et donc que l’état-civil comme le droit et d’autres choses sont des constructions humaines et historiques. Enfin je suis quelque peu enclin à voir une révolution derrière ces effets du spectacle que nous vivons aujourd’hui, alors que ce n’est peut-être qu’une mode.