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Journalistes français! Faites la Révolution, pas la Guerre!

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de rencontrer un journaliste étranger de passage à Paris. Il s’émerveillait encore et toujours de notre charmante capitale, Paris sera toujours Paris…. Et notre presse, toujours notre presse.. car il s’étonnait du calme ambiant dans sa profession en France.

Calme? Ce n’est pas vraiment l’impression que j’ai. “Mais, nous Axelle, nous sommes en guerre ». Vraiment? contre qui, contre quoi? « Contre personne et tout le monde, contre nous-mêmes. C’est une question de survie. Et en même temps, j’imagine que c’est l’un des challenges les plus passionnants. Je ne sens pas cet état d’esprit ici. »

Ce journaliste m’expliquait qu’il pensait que le journalisme français avait au moins quatre ans de retard, dans la façon de délivrer l’information, de collaborer entre les différentes sphères du journal, d’opposer encore et toujours le papier et le numérique là où d’autres journaux se créent de véritables “war rooms”, combien il était devenu essentiel d’écouter les voix « d’en bas », de ceux qui sont proches de votre audience, de ceux qui vous lisent, et que par conséquent en conférence de rédaction, les hiérarchies s’étaient déplacées. Bref, je le trouvais plus curieux que paniqué, plus déterminé que cynique, plus ouvert que convaincu. La voix de la raison et du savoir n’étaient peut-être plus la face B de sa carte de presse.

Ou une révolution?

Loin de moi l’idée de croire que l’Internet va tuer le journalisme. Je pense exactement le contraire. Dans ce bombardement d’informations, quand on a l’impression de ne jamais tout savoir ou de sûrement tout rater, quoi qu’on lise, quoi qu’on cherche, s’accrocher à des valeurs sûres devient de plus en plus essentiel. Peut-être ne trouverais-je pas toujours ce qui m’intéresse sur le site du journal, ou du blog dont la « marque » est solide. Mais je sais que j’y reviendrai le lendemain, et que cela sera le cas. Parce que cette source d’informations me connaît, dialogue avec moi, partage, m’implique, me fait confiance autant que je compte sur elle. C’est mon nouveau code de fidélité, qui ne passera pas par un abonnement papier. L’un des grands exemples de nouveau media social offrant une nouvelle façon de s’informer est sans aucun doute Twitter.

Quand je suis quelqu’un sur ce réseau, je lis tous ses tweets, qu’il s’agisse d’un journaliste reconnu, d’un designer ou d’une amie dont l’opinion m’intéresse. Je les lis de la même façon, avec la même impatience, parfois je n’y vois aucun intérêt et n’ouvre pas le lien, mais ne les enlève pas de ma « timeline » pour autant, car demain, j’en suis certaine, je trouverai quelque chose qui satisfait ma curiosité. Je suis donc une des tribus de la tribu j’imagine. C’est là où tout se complique probablement pour les journalistes et leur média. Il n’y a pas qu’une communauté, mais plusieurs. Twitter n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres nouveaux services web ou applications mobiles grâce auxquels chacun peut aujourd’hui créer son univers d’informations selon ses propres intérêts. Regarde les applications que je télécharge et je te dirai qui je suis…

Internet n’est qu’un mouvement collectif fait de ces tribus multiples piochant dans ce réseau en fonction de leurs besoins. Un point commun, entre elles, elles expriment un certain engagement nourri par une nouvelle interactivité, engagement parfois de gens qui n’avaient peut être jamais étaient très « connectés » à ce qui se passait autour d’eux avant que la révolution ne s’opère. Car oui, c’est fait, il serait même un peu tard pour en parler, et se demander si le journalisme doit se réinventer. D’autres ont déjà pris le train. Je lisais ce matin un tweet : « je ne connais personne de moins de 25 ans qui a un abonnement à un journal ou un magazine papier. »

Je réalise que moi non plus. Paradoxalement, j’ai l’impression que je n’ai jamais autant parlé, échangé, commenté, découvert qu’aujourd’hui. Il est tellement plus facile d’intéresser un lecteur passionné, concerné. Je n’arrive pas à comprendre que les journalistes vivent si mal ce changement ou donnent ce sentiment parfois.

S’armer pour innover

Ils ne s’ appliquent pas certains principes qu’ils analysent si justement parfois dans leurs écrits sur les grandes innovations, pas uniquement technologiques, que nous observons actuellement. Pourtant, je ne crois pas du tout que les Français soient moins créatifs. Mais l’innovation commence lorsqu’on arrive à franchir l’étape entre des idées et leur exécution.

Ouverture

L’ouverture : « Openness » dirait-on anglais, mot aussi chéri que son cousin « innovation ». C’est certainement une des clés d’un nouveau journalisme qui accepte l’ouverture du nouvel écosystème, ouverture dans la façon de mettre l’information à disposition du grand public, et ouverture à ceux qui la reçoivent. A quoi cela sert-il d’utiliser Twitter si c’est pour en faire le même usage que le format papier, entretenir le dialogue entre soi, se “tweet-clasher” entre amis-ennemis du sérail? Sachez que pendant ce temps-là, il se passe plein de choses intéressantes ! Que je pars lire l’info ailleurs.

Honnêtement, je ne sais pas si tous les journalistes du monde se battent entre eux. Je ne crois pas. Il y a une autre guerre à mener semblait me dire ce journaliste. Au prochain bon mot en réponse au trait d’esprit d’un confrère, je serai moi, sur la nouvelle application du Guardian, pour laquelle je n’ai pas déboursé le moindre centime cette fois. Mais qui à sa prochaine expérience, surprise ou, application payante aura mon engagement, ma confiance car je les sais capable de créer un produit adapté non pas au nouveau support, mais à mes nouveaux besoins. Ce qui veut dire la même chose. Ils auront construit une marque solide à mes yeux.

Ainsi, au lieu de discuter comment sauver son modèle économique certains le font comme cette application pour iPad The Guardian Eyewitness qui permet de recevoir une vraie information. Le journalisme, quelque soit soit forme ou le médium utilisé, consiste avant tout à cela pour moi. Je veux être informée de la meilleur façon possible. Je préfère donc toujours m’intéresser à un fait, une opinion, une analyse de celui-ci, qu’il s’agisse d’un événement politique ou un nouveau produit technologique. Entre « tout savoir sur Internet » et « les dessous de la communication de crises de BP », je me pencherais toujours sur le second, en premier.

Après une conversation initiée sur Twitter avec un journaliste français cette semaine, passionnant échange, en ce qui me concerne, l’argument suivant est avancé « il faut travailler dans la presse pour comprendre ». C’est à dire l’idée contraire de son confrère étranger qui me disait mot pour mot « j’écoute beaucoup, et spécialement ceux qui utilisent ces nouveaux usages, j’écoute mon audience. »

Je suis d’accord. Je crois que si le microcosme ne comprend pas que la niche ne sera pas sauvée par la niche mais que le lecteur de plus en plus en contrôle de ses choix serait ravi qu’elle compte sur lui, qu’on ne nous voit plus comme l’ennemi qu’on ne sait plus satisfaire, mais comme un acteur de la révolution que nous vivons ensemble.

Se focaliser

Internet semble être au delà du lecteur non captif (ce qui est faux de mon point de vue) l’ennemi numéro un pour la presse. Mais encore une fois à l’ouverture pour changer, vivre cette révolution s’ajoute l’obligation de s’impliquer en se concentrant sur ses objectifs pour la faire. Au lieu de découvrir l’activité journalistique à travers des nouvelles expériences de lecture, je ne lis que le résumé des entreprises de destruction de l’adversaire, qu’il s’agisse de Yahoo ou Google qui tue la presse, le journalisme. Encore une fois, je n’ai jamais vu personne se réinventer en scrutant les gestes des autres. Etre « focus » sur ses propres capacités et son savoir faire n’est pas facile quand les nouvelles technologies et autres réseaux sociaux les redéfinissent. Agir dans un environnement où il est quasiment impossible de construire une stratégie est un défi. Mais les meilleurs choses se font souvent en dehors de notre zone de confort.

Prendre des risques

Cette zone de confort qui à titre individuel est de plus en plus difficile à franchir au fur et à mesure que les choses à perdre s’accumulent. C’est pour cela qu’il est forcément plus facile, plus instinctif de le faire jeune, quand on a tout à prouver et que prendre des risques est quasiment une seconde nature. J’imagine que c’est la même chose à l’échelle d’une entreprise, d’autant plus lorsqu’on la définit comme une institution. Mais j’aime à croire que les différences générationnelles sont assez factices, (si j’entends encore que je suis une « digital native »…) je crois toujours qu’il s’agit d’une excuse et que c’est avant tout une question de personnalité et donc de volonté.

Je ne crois pas que le New York Times s’imaginait il y a cinq ans, non pardon deux ans, lancer une application “Scoop” qui offrirait une nouvelle façon d’informer, plus interactive, plus personnalisée, où l’équipe de rédaction donnerait ses conseils et bons plans au lecteur. Je ne pense pas non plus qu’à la même époque, Wired imaginerait que sa version numérique pour un produit, l’iPad, serait plus lu que son tirage papier (‘Wired’ iPad Edition On Pace to Beat Newsstand Sales This Month | The New York Observer) ou que Jeff Jarvis conseillerait de cultiver sa marque personnelle dans un univers media où il s’agira autant de l’endroit où vous écrivez que de qui vous êtes: Media’s evolving spheres of discovery « BuzzMachine.

Je n’écris d’ailleurs ce billet qu’à ce titre. Je ne représente que moi-même. Je ne suis certainement pas une experte, titre qui me semble plus que suspect. Mais cela n’empêche pas d’avoir une vision, au contraire. Il s’agit de la mienne. Celle d’une utilisatrice de ces nouveaux médias, boulimique d’infos, passionnée. C’est ainsi la seule légitimité que je revendique: celle de la passion.

Sans doute un peu naïve? Peut-être, mais encore une fois le cynisme ne gouverne pas les grandes révolutions. D’ailleurs quand ce journaliste étranger m’a déclaré que la France avait définitivement versée dans le conservatisme, je me suis offusquée.

Certainement pas. Nous avons toujours eu le goût des révolutions. Et un certain talent pour y participer.

Axelle Tessandier, @axelletess

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