Nous publions ici une tribune de Thierry Maillet, qui réagit à l’édito du Monde daté du 30.06.10.
Monsieur le directeur,
Lecteur aussi assidu qu’intéressé du journal que vous dirigez je bien sûr ravi de connaître l’issue heureuse que vous annonciez dans votre éditorial de l’édition datée du mercredi 30 juin.
Espérons que cette issue ne soit pas que momentanée ! Vos nouveaux investisseurs ont été investis, ils vous permettront d’honorer vos dettes immédiates mais la négociation ne fait toutefois que commencer.
Quel plaisir de lire combien vous chérissez vos investisseurs nouveaux et putatifs, Monsieur Perdriel est sûrement très justement cité. Vos banquiers et les organismes sociaux apprécieront évidemment que vous ayez pensé à eux en sollicitant un prêt d’urgence. Vos nombreuses sociétés de personnel seront ravies d’avoir cru trouver en une nouvelle BNP (Bergé, Niel, Pigasse), le financier de leurs rêves.
Mais je vous ai lu, puis relu et quelle incroyable mais finalement très logique surprise : votre journal fonctionne sans lecteurs, sans annonceurs et sans distributeurs.
Certes votre éditorial leur est destiné mais c’est comme pour mieux les oublier. Vous ne mentionnez nullement les plus de 300/400.000 acheteurs au quotidien pas plus que vous n’évoquez vos partenaires distributeurs dont vous connaissez le rôle essentiel pour la promotion de votre quotidien et bien sûr pas un mot sur vos horribles annonceurs qui vous ont pourtant reconnu « marque de l’année en 2009« .
Monsieur le Directeur, j’ose espérer que votre oubli était plus occasionné par votre soulagement que je comprends immense et peut-être un peu à cette chaleur parisienne étouffante.
Permettez toutefois un bien modeste manant, lecteur régulier à ses heures, de vous suggérer que les premiers soutiens de votre journal ne sont pas vos investisseurs mais vos lecteurs, que vos premiers partenaires sont vos clients, les annonceurs et enfin que tout produit n’est rien sans un efficace réseau de distribution motivé et justement rémunéré.
En vous lisant je me demandais si vos propos, inconsciemment, ne résumaient pas le drame de la presse quotidienne française qui vit entre gens de bonne compagnie, les sociétés de journalistes, Presstalis et les ouvriers du livre et bien sûr sous la perfusion de l’Etat. Vous paraissez ainsi prisonnier de votre situation au point de ne plus vous en rendre compte et de ne faire état dans un éditorial « A nos lecteurs » de vos seuls partenaires internes actuels ou futurs en omettant l’essentiel, vos réels soutiens extérieurs qui sont finalement votre raison d’être.
Il est ainsi permis de poser la question : la presse quotidienne nationale ne se regarde-t-elle pas vivre dans un cercle étroit qui depuis trop longtemps se soucie insuffisamment de son premier actif : ses fidèles et passionnés lecteurs. Dès lors, le principal obstacle à sa survie ne serait nullement Internet ou la presse gratuite mais bien la capacité de ses acteurs à se rendre enfin compte qu’ils sont leurs propres ennemis.
Cette situation n’est pas exceptionnelle mais commune à tout corps social contraint d’évoluer et qui doit trouver parmi ses propres acteurs les ressources de sa réussite future pour que l’externe lui crédite son évolution. Souhaitons de tout cœur que vous y arriviez.
Thierry Maillet