Une étude d’une association britannique, The media standard trust, révèle le déclin du traitement de l’information internationale dans la presse britannique. Un phénomène relevé par Rue89 qui estime qu’en France, il en serait de même.
DE QUOI PARLE-T-ON EXACTEMENT ?
L’information internationale, est-ce seulement le traitement d’un événement provenant de l’étranger quel qu’il soit ? Ou parle-t-on des domaines “nobles” du journalisme : la politique, économie, société au plan international ?
Le distingo est important car j’ai constaté de manière empirique une augmentation du traitement des faits étrangers d’ordre insolite, people, spectaculaire.
Ainsi pour ne citer qu’un exemple, les frasques de Berlusconi bénéficient en France d’une assez belle couverture, de même que les bourdes de notre président sont elles-mêmes assez bien relayées à l’étranger.
On peut faire cette même remarque s’agissant d’ailleurs de la couverture politique. Comme le constate fort justement Nicolas Vanbremeersch (Versac), le “syndrôme Raphaelle Bacqué” se développe en matière politique. Les coulisses, les relations intimes entre personnalités (à l’image du best seller “sexus politicus”), les petites phrases, les intrigues et coups bas… ce genre de traitement tend lui, à se développer dans l’information.
UN RECUL DE L’INFORMATION SÉRIEUSE EN GÉNÉRAL
Mon intuition de lecteur régulier de la presse et d’ancien rédacteur en chef de l’actualité d’un grand portail (AOL) me permet de donner raison à Pierre Haski de rue89, sans trop de risque.
Oui le traitement de l’information internationale se réduit, tout comme tous les sujets « eyebrow » comme disent les anglais, les sujets sérieux qui font lever le sourcil. J’en ai été moi-même l’instigateur autant que la victime. Comment expliquer ce phénomène ?
– La course à l’audience naturellement dans un univers hyper-concurrentiel où les cinq premiers du classement Nielsen récupèrent 70 à 80% des budgets publicitaires des grandes marques. Ceci dans un contexte où le CPM (coût par mille) est au minimum dix fois plus faible qu’en presse papier, à la fois pour des raisons historiques (les éditeurs ont bradé leur inventaire Internet, car c’était le cerise sur le gâteau) et structurelles (explosion de l’offre qui a tiré les tarifs publicitaires à la baisse).
– La frilosité des dirigeants Internet. Pas de risque, pas d’innovation. On se concentre sur les valeurs sûres d’audience : faits divers, people, insolites, spectaculaire. D’où ce phénomène de mimétisme des lignes édito qui finissent par se ressembler toutes plus ou moins. On retrouve ce manque de prise de risque en télévision où TF1 préfère acheter des séries américaines qui ont fait leurs preuves ailleurs que d’investir dans des productions françaises, à la différence de Canal+ , qui a retourné cette contrainte légale en force de différenciation et de recrutement d’abonnés.
– Une tendance sociologique de fond. Le divertissement, le plaisir prennent de plus en plus d’importance (voir ou revoir l’excellent et prémonitoire Wall-E) dans notre société. avec en contrepoint l’évitement de l’effort, de la contrainte et de l’anxiogène. Même le fait divers cède un peu du terrain face au LOL, au rire d’évitement, d’oubli.
– Une adaptation conjoncturelle. La crise est passée par là. La majeure partie des gens voient leurs revenus stagner ou régresser. Et surtout leurs conditions de vie se dégradent. Augmentation de la précarité du travail (CDD, interim, freelance…), augmentation des temps de transport (dans des conditions de plus en plus mauvaises, par manque de renouvellement des équipements collectifs liés à un désinvestissement public progressif), baisse de la qualité des services publics ( plus les moyens budgétaires)…
UN REPLI RÉFLEXE D’AUTO-PROTECTION
Face à ces difficultés réelles, les individus se recentrent sur eux-mêmes, leurs famille proche, leurs amis. Bien sûr, avec Facebook, ils s’amusent à avoir 130 amis ou plus. Mais en réalité, ils ne discutent toujours qu’avec les 10 ou 15 mêmes, comme le rappelle Cameron Marlow, le sociologue maison de Facebook dans une étude relayée par Readwriteweb
Pour pouvoir s’intéresser à des choses supérieures, il faut être déjà dégagé de ses contraintes primaires ( manger, se vêtir, se loger : se rappeler la toujours probante pyramide de Maslow)
C’est bien la raison pour laquelle, ce sont les classes supérieures, bourgeois, aristocrates, clercs qui ont fomenté la révolution française. Ils étaient bien les seuls qui pouvaient se permettre d’y penser, et pouvaient prendre le risque (indépendamment du capital culturel qu’ils avaient accumulé grâce à la lecture des Lumières sous Louis XV). Le peuple lui, n’en a été que le bras armé et finalement aussi long à se révolter que dur à calmer par la suite.
Il faut ajouter aux problèmes matériels, une inquiétude protéiforme et diffuse vis à vis de la mondialisation, l’avenir, les technologies qui nous échappent. Un désaveu du politique corrompu et impuissant face aux organismes internationaux qui les détrônent (ONU, OMC, Bruxelles…). Sans oublier les technologies qui s’emballent, si difficiles à suivre et finalement anxiogènes pour beaucoup. En témoignent les réactions de rejet y compris parmi les élites traditionnelles (Séguéla, Minc, Finkielkraut…)
Autant de facteurs d’instabilité psychologique qui expliquent les mécanismes de repli, dont la xénophobie est d’ailleurs l’une de ses manifestations les plus détestables.
L’évasion hédoniste et le repli identitaire, communautaire ou xénophobe, ont des fondements à la fois conjoncturels et structurels qu’encouragent parfois avec une certaine irresponsabilités des médias aux abois. Il est temps de rééquilibrer les choses et de ne pas céder à la facilité. Les internautes, tels des enfants gavés d’infos acidulées pourraient nous reprocher plus tard notre démagogie intéressée…
Cyrille Frank aka Cyceron
Crédit photo @horiavarlan via Flick’r