L'Observatoire des médias

Les répercussions prévisibles du déclin politique de Silvio Berlusconi sur son Empire

Il y a quelques jours, le fils de Berlusconi, Pier Silvio, a déclaré à l’occasion d’un congrès qui s’est tenu à l’Università Cattolica, à Milan, que c’est la « situation politique » et « la situation de crise générale, pas seulement en Italie », qui pèsent davantage sur la performance négative qu’enregistre en ce moment l’action Mediaset à la Bourse italienne, plutôt « que les résultats du Groupe sur les neuf premiers mois de l’année », en hausse relative.

En effet, dans la semaine qui vient de s’écouler, le titre a touché son plus bas depuis 4 mois, bien qu’il rebondisse légèrement depuis hier. Ce qui fait préciser à Pier Silvio Berlusconi : « Le yoyo quotidien du cours est difficilement déchiffrable ».

Il n’empêche ! Si l’on observe l’évolution sur les 5 dernières années, la baisse semble évidente et durable :

D’autant plus que les différentes affaires judiciaires qui s’accumulent sur le Groupe hypothèquent gravement son avenir :

Commentaire à chaud de Marina Berlusconi (dont certaines rumeurs disent qu’elle pourrait se lancer en politique pour succéder à son père…) : « Si nous devions payer une telle somme, démesurée, Mediaset devrait mettre la clé sous la porte ! ». Le jour du jugement, le titre avait immédiatement décroché de 6,30% !

Berlusconi a ensuite remporté les premières manches, puisqu’il a obtenu le blocage du paiement de l’amende, jugée trop élevée : une expertise diligentée par la Cour d’Appel de Milan a d’ailleurs diminué la valeur du préjudice subi à environ 560 millions d’euros. Par conséquent, si le Tribunal de deuxième instance retient les résultats de l’expertise, il est probable que De Benedetti encaissera quoi qu’il en soit un pactole considérable en réparation…

Les avocats des parties doivent déposer leurs conclusions mardi 23 novembre, et le jugement devrait être rendu vers le mois d’avril 2011, le même mois où arrivera à échéance la caution bancaire de 806 millions d’euros déposée par Fininvest en garantie d’une « éventuelle » condamnation.

Côté presse nationale, ça ne va pas très fort non plus avec Il Giornale, le quotidien du frère de Berlusconi, prête-nom plutôt qu’éditeur pur et dur… Même si l’arrivée de Vittorio Feltri l’année dernière a boosté les ventes, vu qu’il tape sur tout ce qui bouge dans un sens opposé aux desiderata de son patron (il vient d’ailleurs d’être suspendu trois mois par l’ordre des journalistes, pour avoir violé la déontologie du métier…), les résultats financiers sont encore dans le rouge et la seule raison pour laquelle la famille Berlusconi le garde, c’est qu’il s’agit d’un formidable outil d’influence et de propagande…

Passons maintenant à la RAI, la télévision publique, dont Berlusconi réussit encore à contrôler les JT de la 1ère et de la 2ème chaînes. Le dernier exemple en date n’est pas vieux puisqu’il date d’hier, où le 20 heures de la 1ère chaîne n’a pas dit UN mot des motivations du Tribunal de Palerme (rendues publiques hier, justement) qui, en juin dernier, a condamné en appel le Sénateur Marcello Dell’Utri à 7 ans de prison pour concours externe en association mafieuse, alors que Silvio Berlusconi est cité pas moins de 440 fois dans le dispositif…

Jugement impitoyable : pendant près de 20 ans, Berlusconi a préféré payer la mafia sans jamais dénoncer les différents chantages aux forces de l’ordre, pour protéger aussi bien sa famille que ses télévisions, et Marcello Dell’Utri, son éminence noire, a constamment fait le lien entre Berlusconi et les chefs mafieux, « en contribuant de manière efficace et consciente à consolider et renforcer l’association mafieuse« . Ce n’est pas moi qui le dit, mais la Cour d’Appel ! J’aborderai bientôt aussi le chapitre des « présumés » financements mafieux à Berlusconi, dont Massimo Ciancimino raconte qu’ils ont été particulièrement fructueux, preuves à l’appui…

Quant à Vittorio Mangano, défini publiquement comme un héros par les compères Berlusconi-Dell’Utri alors qu’ils savaient pertinemment que c’était un mafieux, il était à demeure chez Berlusconi, à Villa San Martino, pour garantir sa « protection » à la famille Berlusconi, et accessoirement pour servir de tête de pont entre la mafia sicilienne et les mafieux installés dans le nord de l’Italie en vue de développer le trafic international de drogue, Paolo Borsellino dixit…

Voilà l’Italie d’aujourd’hui : un état délinquant et corrompu, un sénateur qui se permet le luxe de déclarer haut et fort qu’il n’en a rien à foutre de la politique, mais qu’il occupe les rangs du Sénat uniquement pour pas finir en prison, un président du Sénat pour le moins discutable (il fut également l’avocat de Giovanni Bontate, frère de Stefano, chef des chefs de la mafia avant d’être fait exécuter par Riina ; il s’est bien gardé d’ébruiter la chose pendant plus d’un quart de siècle, mais dès qu’un écrivain comme Antonio Tabucchi ose le questionner sur son passé il lui demande 1,3 millions d’euros en dommages et intérêts pour diffamation…), et un président du Conseil totalement imprésentable, autant pour la partie « émergée » que pour la partie « immergée »

Et tout ça, ce n’est qu’une partie infinitésimale de ce qui se passe ici ! Mais bon, tant que le JT n’en parle pas, c’est que tout va bien…

Divieto di votare BerlusconiP.S. Jusqu’à présent, voilà plus de 16 ans que Berlusconi a réussi à endormir les italiens grâce à sa puissance médiatique, en contrôlant l’information, c’est-à-dire en désinformant par une propagande essentiellement basée sur le mensonge, la calomnie (il faudrait que je vous raconte les innombrables « dossiers » qui circulent ici…) et la déconstruction du langage.

Pour autant la politique italienne ressemble aux immenses sarcophages métalliques enfouis dans des décharges disséminées du nord au sud de la péninsule : ils sont tellement pleins à craquer de déchets toxiques que leurs déversements miasmeux commencent à déborder de partout, et l’incommensurable cloaque italien ne pourra plus rester dissimulé longtemps encore.

Il me semble d’ailleurs que, de plus en plus, l’opinion publique internationale est en train de se rendre compte que l’Italie de Berlusconi est un danger pour l’Europe. Donc il ne reste plus qu’à en convaincre les italiens eux-mêmes, mais la tâche s’annonce ardue. Et pourtant, on ne peut pas lui reprocher de ne pas y mettre du sien !

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