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« Cablegate » de WikiLeaks: la « Diplomatie » de Kissinger en téléchargement (il)légal ?

Les centaines de câbles diplomatiques nord-américains publiés depuis une semaine par le site WikiLeaks sont devenus un véritable traité de politique internationale. Ces révélations constituent presque un deuxième volume du best-seller « Diplomatie » de l’ancien Secrétaire d’État nord-américain, Henri Kissinger, qui prouvent que, malgré le nouveau multilatéralisme de l’ère Obama, la maison blanche gardent encore les mêmes automatismes que pendant la guerre froide.

Il suffit de lire la liste des installations considérées comme sensibles pour la sécurité des E.U. qu’a publié WikiLeaks ce dimanche pour découvrir que les vieux démons ne se sont pas morts : la liste inclut des gazoducs et pipelines au Moyen Orient et en Europe de l’Est mais aussi des laboratoires pharmaceutiques en France, en Suisse ou en Suède qui produisent des vaccins contre la rage ou la grippe aviaire ou encore des comprimés d’iode indispensables pour survivre après un attaque nucléaire.

Grâce aux câbles de WikiLeaks, on apprend que les américains gardent encore des armes nucléaires du temps de la guerre froide dans au moins quatre pays européens malgré l’engagement, scellé récemment au sommet de l’OTAN à Lisbonne, de se réconcilier avec la Russie sous le « parapluie » d’un nouveau bouclier antimissile.

On apprend aussi, sans grand étonnement que, malgré les déclarations officielles, Washington continue a craindre une défense européenne plus autonome. On peut lire, noir sur blanc, dans la transcription d’une discussion entre le secrétaire de la défense Robert Gates et l’ex-ministre des Affaires Étrangères Bernard Kouchner, où Gates n’hésite pas à affirmer qu’« une politique de défense européenne plus autonome pourrait faire s’« écrouler l’OTAN », fruit de la guerre froide.

A propos de la France, les diplomates de Washington saluent la fin de la « Franceafrique » mais ils n’hésitent pas à admettre – aussi machiavéliques que Kissinger – que l’intérêt national peut justifier, comme dans le passé, « certaines décisions en Afrique qui sont efficaces même s’elles ne sont pas des plus « propres » ».

Et comme dans tout bon polar d’espionnage, il ne manque pas même l’épisode de la soi-disante, « assurance-vie » du patron de WikiLeaks, Julian Assange, le « guérillero » des fuites. Accusé d’être une menace internationale, mais pour le moment « seulement » poursuivi pour un viol supposé en Suède, il a déposé un mystérieux fichier sur le site « The Pirate Bay ». Téléchargé par plus de 100 000 personnes, et protégé par un mot de passe, celui-ci contiendrait des informations encore plus sensibles qui ne seraient révélées qu’au cas où Assange finirait par être la cible de représailles. Ce dernier n’hésite pas évoquer cette « assurance-vie » dans son entretien récent au quotidien britannique The Guardian.

Les révélations de WikiLeaks se lisent d’abord comme un vrai roman sur les bruits de couloir du pouvoir, avec ses intrigues, ses phrases choc et engueulades, ses menaces voilées ou petits chantages. Ce qui surprend d’abord, c’est la franchise, bien loin de la langue de bois des conférences de presse et des communiqués qui suivent les sommets internationaux, toujours dominés par la recherche d’un consensus qu’illustre la typique « photo de famille ».

En tant que journaliste, nous étions déjà familiers de la majeure partie des informations que WikiLeaks a mis en lumière. Que ce soit le soutien des services secrets pakistanais aux Talibans,  le fait que l’Irak était l’objet d’un bras de fer entre l’Arabie Saoudite, les États Unis et l’Iran, ou que Riyad était suspecté de soutenir certains groupes terroristes dont Al-Qaïda, que la France n’a jamais caché sa méfiance envers la Russie ou la Turquie, ou que certains membres du gouvernement Afghan étaient suspectés de corruption et de liens avec le trafic de drogue dans le pays. Nous le savions, sans jamais avoir de confirmation officielle ; c’est chose faite grâce à la publication des discussions privées en coulisses de la diplomatie nord-américaine. Indiscrétion ou manque de transparence ? WikiLeaks reste une source d’information que les journalistes doivent analyser, de telle sorte à ce que l’on ne parle plus des câbles de WikiLeaks, mais des articles des journaux internationaux qui ont enquêté sur les informations disponibles dans ces documents.

Mais reconnaître l’héritage de Kissinger dans la diplomatie nord-américaine actuelle est une chose, l’accepter en est une autre. Plus qu’une critique de la diplomatie nord-américaine, les révélations de WikiLeaks prouvent la complaisance avec cette façon de faire que montre la communauté internationale, au premier chef les européens.

Quand début 2010 le nouveau président du conseil de l’Union Européenne, Herman Van Rompuy, exige des américains des résultats concrets en Afghanistan, déclarant que « sinon l’Afghanistan serait fini pour l’Europe en 2010 », on ne peut que regretter comme journaliste et citoyen qu’il ne le fasse pas devant une camera ou pendant un discours officiel.

À euronews, comme dans de nombreuses rédactions en France et dans le monde, on s’est plongé depuis des jours dans nos propres archives pour découvrir ce que nous avions écrit pendant que les fonctionnaires des ambassades nord-américaines transcrivaient ces « vérités cachées ». Personnellement je ne peux que constater que, si les positions privées des diplomates étaient assumées en public, elles pourraient contribuer à un vrai dialogue et  à de vrais débats, bien loin de la diplomatie de « la navette » qui a marqué l’époque où Kissinger était à la tête des affaires étrangères à Washington.

WikiLeaks pourrait marquer un tournant dans la façon de faire de la diplomatie et devenir pour les journalistes une intarissable source d’informations et de citations qui ne manqueront pas d’être soulevées dans les interviews des mois et années à venir. Si les diplomates pensaient échapper à la confrontation et à la contradiction en se cachant derrière leurs positions officielles, ils savent désormais que seule une vraie transparence sur tous ces sujets pourra rétablir la confiance entre diplomates, journalistes et l’opinion publique.

José Miguel Sardo, journaliste euronews
avec Marie Jamet et Vincent Coste de l’équipe web d’euronews.

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