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« Armée de l’Air » ou l’histoire d’une vraie-fausse page Facebook

Sur Facebook, il est parfois difficile de faire la différence entre des pages officielles et des pages qui ne le sont pas. Cela vaut pour toutes les institutions, y compris pour les armées. La réaction des institutions militaires à l’égard de ces « fausses » pages officielles varie selon les pays.

Aux Etats-Unis, les armées disposent d’un contact direct chez Facebook en la personne d’Adam Conner, auteur du document intitulé Facebook and Government 101. Si les armées constatent qu’une « fausse » page officielle existe, elles envoient un message à Facebook qui se charge non seulement de supprimer la page en question mais, de surcroît, de transférer les fans vers la page officielle. Les armées britanniques fonctionnent peu ou prou de la même manière avec le bureau de Facebook à Londres. En revanche, Facebook ne dispose pas de bureaux en Allemagne ni en France. Aussi, quand la Bundeswehr a voulu supprimer « sa » fausse page sur Facebook, elle a envoyé… un fax au siège de l’entreprise californienne – fax qui est resté sans réponse.

L’Armée de l’Air française a adopté une approche différente. Il y a quelques mois encore existait une page « Armée de l’Air » qui ressemblait à s’y méprendre à une page officielle : le logo officiel y était utilisé, des informations provenant du site du ministère de la Défense y étaient relayées et le contact fourni était l’adresse de l’armée de l’Air.

De nombreux militaires participaient aux discussions sur le « mur », sans se douter qu’il ne s’agissait pas d’une page officielle. Des recruteurs prenaient même part aux échanges. Le Sirpa-Air a voulu savoir qui administrait cette page. Un officier a créé un profil et a participé aux discussions. Après s’être fait remarquer comme contributeur, il a demandé à entrer en contact avec l’administrateur, qui lui a répondu. C’est comme ça que l’armée de l’Air a découvert que « sa » page était gérée par… un policier ! Il s’avère que ce policier – qui vit en Alsace – est nostalgique de l’armée de l’Air où il a effectué son service militaire. Il explique : « Quand je me suis inscrit sur Facebook, j’ai cherché la page de l’armée de l’Air. Il n’y en avait pas. Je me suis dit : “Qu’à cela ne tienne” et j’en ai créé une ». Il précise que si une page officielle avait existé, il y aurait contribué et n’aurait pas créé une nouvelle page. S’il n’apparaît pas comme administrateur, c’est parce qu’il n’aime pas se mettre en avant et il affirme n’avoir jamais réfléchi aux problèmes que pouvait poser le fait que cette page ressemble vraiment à une page officielle. Il soutient d’ailleurs qu’il serait prêt à la supprimer ou à la transférer officiellement au Sirpa-Air si on le lui demandait.

Dans un premier temps, l’armée de l’Air a laissé faire, estimant que le policier faisait du bon boulot. Après tout, il passait près d’une heure par jour à modérer les commentaires, supprimer les remarques jugées déplacées et diffuser des informations officielles provenant du site du ministère de la Défense. Au début de l’année 2011, la politique du Sirpa a changé. Un officier a appelé le policier. Suite à cette conversation téléphonique, dont la teneur ne nous a pas été révélée mais qui s’est semble-t-il déroulée sur un ton amical, le policier a accepté qu’un officier du Sirpa-Air devienne co-administrateur de la page. Cette dernière a alors commencé à changer. Le logo officiel a été remplacé par la photographie d’un avion de chasse.

Surtout, dans la partie « informations » est apparue la mention : « Cette page ne constitue pas la page officielle de l’armée de l’Air ». Puis, le nom de la page a été transformé en « Fans de l’armée de l’Air ».

D’après les informations fournies par le policier, l’objectif du Sirpa-Air serait de créer une page officielle et d’utiliser à cette fin le nom « Armée de l’Air ». La page officielle entretiendrait des liens étroits avec la page « Fans de l’armée de l’Air », dans l’espoir de récupérer une partie des 12 000 fans de cette page.

Il est difficile de dire si les fans resteront sur la page d’origine tout en adhérant à la nouvelle page officielle, s’ils délaisseront la première au profit de la seconde ou s’ils resteront fidèles à la « fausse » page officielle sans s’intéresser à la « vraie ». En revanche, on peut d’ores et déjà dire que l’armée de l’Air a agi avec tact, comparé à la méthode anglo-saxonne qui, comme nous l’avons décrit au début de ce post, est certes plus rapide mais aussi beaucoup plus brutale. C’est peut-être ça la French touch.

Les créateurs de « fausses » pages agissent souvent plus par un mélange de passion et d’ignorance des règles que par volonté de nuire. Ce sont des fans qu’il serait dommage de se mettre à dos en réagissant de manière trop brusque ou légaliste, sur le mode : « vous n’avez pas le droit d’utiliser notre logo ». En l’occurrence, le policier a plutôt été flatté d’être contacté par des officiers de l’armée de l’Air et de voir que son initiative intéressait au plus haut niveau.

Les médias sociaux, ouverts et décentralisés correspondent assez peu à la culture des armées, relativement fermées et très hiérarchisées. L’histoire de la page Facebook « Armée de l’Air » montre que les armées peuvent compter sur des internautes de bonne volonté pour relayer leurs messages dans le monde du web 2.0 – monde qu’elles abordent avec prudence et parfois avec méfiance. Bien sûr, tous les adeptes des réseaux sociaux ne sont pas aussi bien intentionnés que ce policier mais la crainte de tomber sur des trolls ne doit pas justifier l’inaction. Aujourd’hui, les armées n’ont plus vraiment le choix : si elles veulent faire entendre leur voix, elles se doivent d’être présentes sur les réseaux sociaux. L’armée de l’Air, visiblement, l’a compris comme d’ailleurs l’armée de Terre et la Marine. On reste toutefois loin de ce qui se fait aux Etats-Unis, les armées américaines ayant intégré le fait que dans l’expression « médias sociaux », l’adjectif est plus important que le nom. Cela signifie concrètement que le web 2.0 n’y est pas considéré uniquement comme un outil de relations publiques mais aussi comme une plateforme susceptible de faciliter l’organisation voire les opérations des armées.

Billet publié à l’origine sous le titre ‘L’histoire étonnante et instructive de la page Facebook « Armée de l’Air » sur ultimaratio par Marc Hecker, chercheur, CES, Ifri.
L’Ifri sur Twitter, c’est ici : @ifri_

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