L’exercice est assez convenu en cette fin d’année. Il consiste à revenir sur les éléments marquants de 2011. Pour la presse écrite française, il ne paraît pas exagéré de parler de l’amorce d’un véritable tournant dans sa longue histoire. Pour en prendre la mesure il suffit de revenir sur quelques uns de ses événements ou faits les plus significatifs.
L’année se termine sur quelques symboles forts : deux titres nationaux, France Soir et La Tribune dont les comptes sont très dégradés vont ou risquent d’abandonner le papier pour ne plus être proposés que sous forme numérique, alimentés par des rédactions réduite au strict minimum. En fait il s’agit là de la manifestation d’une tension générale sur les comptes des journaux, manquant de ressources publicitaires, voyant leur diffusion s’éroder, qui frappe d’abord les plus fragiles. France Soir et La Tribune des situations pourtant bien différentes, entre l’ancien quotidien populaire, totalement épuisé ayant perdu l’essentiel de son lectorat et le quotidien économique né des années quatre-vingt qui a su gagner un public, sans jamais trouver l’équilibre de ses comptes.
Comme toujours, l’attention se concentre sur la presse parisienne, alors que des situations encore plus préoccupantes se sont fait jour en région, là où la Comareg (Groupe Hersant Média) a purement et simplement cessé d’exister licenciant plus de mille personnes. Région où ce même Groupe Hersant Média surendetté a annoncé son mariage avec le groupe Rossel (La Voix du Nord, Le Soir de Bruxelles), avec là aussi la perspective d’une « rationalisation » qui se soldera par des centaines d’emploi supprimés. Que penser en outre du sort de Paris Normandie, exclu de cet accord, au risque d’un dépôt de bilan à plus ou moins brève échéance ?
La tension sur les comptes des journaux se traduit aussi par l’annonce de restructurations de titres hier encore symbole de réussite : Les Echos, Le Parisien/Aujourd’hui en France. Dans les deux cas les comptes sont au rouge, alors même que la diffusion fléchit (-5,38% pour le second). « Plans sociaux » ou « Plans de départs volontaires » ont ici en commun qu’ils visent à resserrer les rédactions, en même temps qu’à opérer un mouvement qui voit des journalistes traditionnels de l’imprimer laisser leur place à de nouveaux venus formés et si possible créatifs dans l’univers du numérique.
Dans ce registre des évolutions nécessaires des rapports entre imprimé et numérique, 2011 aura été pour les quotidiens français l’année de l’engagement vers les « rédactions intégrées » où se côtoient, coopèrent, se fondent journalistes du print, du web, des supports mobiles. Le Figaro en fait l’annonce et engage les aménagements nécessaires, Le Monde ou 20 Minutes créent des services communs, etc. Faut-il rappeler que la presse anglo-saxonne avait amorcé ce mouvement dès les lendemains de l’éclatement de la bulle Internet. Ces journaux à l’exemple du Guardian ou du Financial Times montrent d’ailleurs que ce ne sont pas des rédactions aux fonctions indifférenciées qui se font jour, puisque des pôles continuent à servir plutôt un support ou l’autre selon ses spécificités. Faut-il imaginer que 2012 permettra de faire un pas de plus aux quotidiens français, celui du « web first », soit la priorité au numérique pour sortir d’abord les nouvelles sur ses différents supports, pour ensuite les sélectionner, les développer, les approfondir pour l’imprimé, comme en ont fait le choix en 2011, le Guardian, le Financial Time ou Le Temps.
Faut-il voir dans ces différents mouvements de réorganisation des rédactions de la presse quotidienne l’explication d’un autre signe d’évolution apparu en 2011, celui de l’inversion de la courbe d’évolution du nombre de journaliste qui tend à baisser (37 007 en janvier) ? Faut-il s’attendre alors à une évolution de fond aussi brutale que celle des Etats Unis qui en dix ans ont perdu pratiquement 30% des effectifs de journalistes ? Faisant en quelque sorte écho à cette tendance, le 5 décembre à Lyon lors d’un colloque organisé par la Wan-Ifra, un leitmotiv se retrouvait dans les propos des responsables journaux et groupes aussi différents que le New York Times, le Financial Times, Le Temps, Roularta, 20 Minutes : « Il va falloir faire travailler beaucoup plus les rédactions et nos journalistes ». Gageons que la formule est insuffisante et que le tournant amorcé en 2011 amènera presse imprimée et presse numérique à repenser la notion même de rédaction, avec des journalistes travaillant en réseau et expérimentant de nouvelles formes de coopérations avec des experts/spécialistes de différents domaines, sans parler des internautes témoins d’événements ou sensibilisés à une question ou une cause.
Jean-Marie Charon
Sociologue des médias.
Président des Entretiens
de l’Information
Jean-Marie Charon est intervenu ce mercredi 27/12 dans l’émission d’Ali Rebeihi « Comme on nous parle ».
Les invités : Jean-Marie Durand (Rédacteur en chef adjoint, rubriques idées, médias – Les Inrockuptibles), Guy Dutheil, (journaliste, service média – Le Monde), par téléphone Pierre Haski (co-fondateur du site Rue89), par téléphone Jean-Marie Charon (sociologue des médias)
Le constat depuis longtemps est le même comme nombre d’articles
le démontrent au point que l’on peut parler d’un lieu commun. Au-delà, c’est
tout le modèle qui doit être revu : quand on sait que le premier quotidien
de France se nourrit largement de dépêches d’agences pour la partie France/International
et en énorme majorité de correspondants locaux de l’autre, oui il faut s’inquiéter.
Le modèle économique est en péril oui mais c’est aussi le cas du modèle
rédactionnel. Les deux sont liés bien sûr, moins de pub c’est moins de moyens,
d’analyses, d’enquêtes, plus de dépêches, plus de CP bref au final, moins de
lecteurs et pour cause ils ont déjà tout ça on line et gratuitement et donc
moins de pub… Bref on en arrive presque, seulement en apparence, à l’histoire
de la poule et de l’œuf. Pour finir, soyons positif, je reste persuadé après 10
ans d’expérience en com corporate la journée et de journaliste free lance le
reste du temps, que face au flux d’informations sans cesse en accélération, il
reste une place à la réflexion, à la pause, au tri, à la mise en perspective, à
la prise de hauteur bref à la valeur ajoutée ! Il faudrait peut être pour
cela insuffler, à coûts rédactionnaux iso, un peu d’envie aux salles de
rédaction, pour en sortir, oublier les press meeting et revenir à l’info et à sa quête
pour ses lecteurs…
Certains vont jusqu’à prévoir la disparition totale du quotidien en papier dans un délai de cinq ans. En fait, malgré sa dimension démocratique, culturelle, etc. le journal n’en est pas moins un « produit » soumis comme les autres aux lois du marché. Dont celle de la ‘courbe de vie’. Le journal n’a pas toujours existé: pourquoi serait-il éternel?
La presse est prisonnière d’un modèle économique obsolète, trop dépendante de la publicité qui a généré un univers complètement décalé de la réalité. Et elle pèse aussi d’un poids beaucoup trop lourd pour la presse magazine et spécialisée ou professionnelle.
Ce n’est pas la disparition des journaux qu’il faut craindre: c’est celle des journalistes ! Je partage l’avis de Stéphane. On ne peut plus accepter la tyrannie des CP, le plus souvent à vocation promotionnelle, qui tiennent lieu de contenu et grâce auxquels les entreprises « communiquent » de plus en plus, sans aucune compensation financière.