L’exercice est assez convenu en cette fin d’année. Il consiste à revenir sur les éléments marquants de 2011. Pour la presse écrite française, il ne paraît pas exagéré de parler de l’amorce d’un véritable tournant dans sa longue histoire. Pour en prendre la mesure il suffit de revenir sur quelques uns de ses événements ou faits les plus significatifs.
La tension sur les comptes des journaux se traduit aussi par l’annonce de restructurations de titres hier encore symbole de réussite : Les Echos, Le Parisien/Aujourd’hui en France. Dans les deux cas les comptes sont au rouge, alors même que la diffusion fléchit (-5,38% pour le second). « Plans sociaux » ou « Plans de départs volontaires » ont ici en commun qu’ils visent à resserrer les rédactions, en même temps qu’à opérer un mouvement qui voit des journalistes traditionnels de l’imprimer laisser leur place à de nouveaux venus formés et si possible créatifs dans l’univers du numérique.
Dans ce registre des évolutions nécessaires des rapports entre imprimé et numérique, 2011 aura été pour les quotidiens français l’année de l’engagement vers les « rédactions intégrées » où se côtoient, coopèrent, se fondent journalistes du print, du web, des supports mobiles. Le Figaro en fait l’annonce et engage les aménagements nécessaires, Le Monde ou 20 Minutes créent des services communs, etc. Faut-il rappeler que la presse anglo-saxonne avait amorcé ce mouvement dès les lendemains de l’éclatement de la bulle Internet. Ces journaux à l’exemple du Guardian ou du Financial Times montrent d’ailleurs que ce ne sont pas des rédactions aux fonctions indifférenciées qui se font jour, puisque des pôles continuent à servir plutôt un support ou l’autre selon ses spécificités. Faut-il imaginer que 2012 permettra de faire un pas de plus aux quotidiens français, celui du « web first », soit la priorité au numérique pour sortir d’abord les nouvelles sur ses différents supports, pour ensuite les sélectionner, les développer, les approfondir pour l’imprimé, comme en ont fait le choix en 2011, le Guardian, le Financial Time ou Le Temps.
Faut-il voir dans ces différents mouvements de réorganisation des rédactions de la presse quotidienne l’explication d’un autre signe d’évolution apparu en 2011, celui de l’inversion de la courbe d’évolution du nombre de journaliste qui tend à baisser (37 007 en janvier) ? Faut-il s’attendre alors à une évolution de fond aussi brutale que celle des Etats Unis qui en dix ans ont perdu pratiquement 30% des effectifs de journalistes ? Faisant en quelque sorte écho à cette tendance, le 5 décembre à Lyon lors d’un colloque organisé par la Wan-Ifra, un leitmotiv se retrouvait dans les propos des responsables journaux et groupes aussi différents que le New York Times, le Financial Times, Le Temps, Roularta, 20 Minutes : « Il va falloir faire travailler beaucoup plus les rédactions et nos journalistes ». Gageons que la formule est insuffisante et que le tournant amorcé en 2011 amènera presse imprimée et presse numérique à repenser la notion même de rédaction, avec des journalistes travaillant en réseau et expérimentant de nouvelles formes de coopérations avec des experts/spécialistes de différents domaines, sans parler des internautes témoins d’événements ou sensibilisés à une question ou une cause.
Sociologue des médias.
Président des Entretiens
de l’Information
Jean-Marie Charon est intervenu ce mercredi 27/12 dans l’émission d’Ali Rebeihi « Comme on nous parle ».
Les invités : Jean-Marie Durand (Rédacteur en chef adjoint, rubriques idées, médias – Les Inrockuptibles), Guy Dutheil, (journaliste, service média – Le Monde), par téléphone Pierre Haski (co-fondateur du site Rue89), par téléphone Jean-Marie Charon (sociologue des médias)