Site icon L'Observatoire des médias

Rtbf.be n’est pas un concurrent déloyal de la presse écrite: un blanc-seing pour France Télévisions?

Depuis plusieurs années, la question du périmètre légitime des activités des radiodiffuseurs publics secoue de nombreux paysages audiovisuels européens. Plusieurs outils sont apparus afin d’encadrer ces nouvelles activités : « public value test » et « market impact assessment » au Royaume-Uni, « Drei-Stufen-Test » en Allemagne, … Il s’agit d’ailleurs d’un des thèmes les plus discutés de ces dernières années au sein de l’EPRA, la plate-forme qui réunit tous les régulateurs audiovisuels européens.

En Belgique, c’est une variante de ce débat qui agite le secteur des médias, puisque ce sont moins les radiodiffuseurs privés qui se plaignent de la concurrence du radiodiffuseur public que… la presse écrite ! Suite à la décision de la RTBF de se rebaptiser rtbf.be en janvier 2010, les principaux titres de la presse belge francophone, réunis au sein de la société Journaux Francophones Belges (JFB), avaient saisi début 2010 le tribunal de commerce de Charleroi afin qu’il ordonne la cessation d’une grande partie des activités de la RTBF sur son site internet (mais aussi sur les réseaux sociaux et sur ses blogs) sous peine d’une astreinte de 10.000 € par jour et la cessation de toute exploitation publicitaire de ses sites internet, sous peine d’une astreinte de 10.000 € par infraction constatée.

Leurs arguments principaux  étaient les suivants :

Les JFB estimaient par ailleurs que ces activités de la RTBF violaient les dispositions européennes en matière d’aide d’Etat aux radiodiffuseurs publics.

Dans un jugement prononcé ce 30 décembre, le tribunal de commerce de Charleroi déboute les JFB de toutes leurs requêtes. Le tribunal relève notamment, de manière générale, que « jurisprudence et doctrine se rejoignent pour reconnaître la possibilité à toute personne morale de mettre en œuvre, outre l’activité principale qui lui est assignée, d’autres activités non expressément prévues par ses statuts ou par l’acte légal qui la fonde, dès lors que celles-ci sont considérées comme accessoires« . Mais plus particulièrement, il estime aussi que « l’importance de l’activité de la RTBF sur le Net reste secondaire par rapport à son core business« .

Peut-on retirer des enseignements d’une telle décision au regard des activités en ligne des autres radiodiffuseurs européens, comme par exemple le développement récent du site et de l’application France TV info ?

Même si cette jurisprudence ne lie évidemment que les tribunaux belges, il certain que les radiodiffuseurs publics qui sont confrontés à des procédures similaires ailleurs en Europe ne manqueront pas de prendre à leur compte de nombreux attendus de ce jugement.

Il est certain aussi que les radiodiffuseurs publics dont le cahier des charges arrive à échéance dans un futur proche veilleront à ce que les termes qui détaillent les missions de l’entreprise publique soient à la fois les plus larges quant à l’étendue des missions (les contenus à produire et diffuser) et les plus précis quant aux outils à mettre en œuvre (les plates-formes pour les distribuer). A cet égard, il faut bien reconnaître que la RTBF avait une longueur d’avance, son cahier des charges négocié en 2006 :

Toutefois, en déboutant les JFB de l’ensemble de leur requêtes, ce jugement nous prive de nombreux autres enseignements qui auraient pu sortir d’une telle affaire. Le principal d’entre eux aurait été de savoir quels contours pouvaient recouvrir cette « certaine présence » sur internet que les JFB reconnaissaient comme légitime.

Par ailleurs, il faut relever que ce jugement laisse ouverte la question de la conformité au droit européen des aides d’Etat dont bénéficie la RTBF. Le tribunal, sans surprise, s’est déclaré incompétent quant au respect des règles du Traité de l’Union européenne. Les JFB avaient d’ailleurs déjà mis un autre fer au feu en déposant plainte en février 2011 auprès de la Commission européenne. Et c’est en effet bien là, avec de nombreuses conséquences pour les tous les groupes audiovisuels publics européens, que se jouera l’essentiel de ce bras de fer.

Jean-François Furnémont
Directeur général du CSA belge et Président de l’EPRA
L’auteur s’exprime à titre personnel

Quitter la version mobile