L'Observatoire des médias

France-Allemagne: Qui a les médias les plus proches du pouvoir?

Connivence se dit en allemand “heimliches Verständnis», litéralement l’entendement secret. Quand il s’agit des médias et du monde politique, on assimile ce mot à une sorte de complicité, d’amitié qui lierait les deux. Souvent cités en exemple les Allemands ont-ils des leçons à donner aux journalistes français?

Cette semaine Jean-Claude Dassier, ancien patron de l’information de TF1 et ancien directeur général de LCI, faisait la tournée des plateaux pour présenter son livre «Connivences. Dans les coulisses de l’info et du foot». On se passera de son analyse footballistique et passons directement au gros du sujet.

Interviewé par Anne-Elisabeth Lemoine dans l’Edition Spéciale de Canal +, Dassier déclarait sans aucune gêne apparente:

«Ca ne vous surprend pas quand même! C’est pas un péché mortel. Il est naturel quand vous faites un métier de journaliste politique d’avoir des connivences entre guillemets avec le personnel politique.»

Après avoir vu cet entretien surprenant pour un étudiant en journalisme franco-allemand, j’ai voulu en savoir plus sur les rapports qu’entretenaient les médias allemands avec leurs Politiker et quelles leçons pouvions-nous en tirer.

Dans son livre, La presse en France et en Allemagne. Comparaison de deux systèmes, Valérie Robert, maître de conférence à Paris 3 revient sur le journalisme de connivence à la française.

 » C’est en général ce qui frappe les journalistes étrangers en France, Souvent, les journalistes français font preuve d’une attitude révérencieuse envers les autorités, ne posant pas de question qui dérange, ne forçant pas les portes pour obtenir des informations« 

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La conférence de presse du président à l’Elysée le 16 mai 2013

Face aux conférences de presse organisées par l’Elysée, où les journalistes triés sur le volet posent des questions aussi anticipées que les réponses, le point ne peut aller qu’aux journalistes allemands qui organisent et président les conférences de presse fédérales dans un bâtiment prévu à cet effet.

Le bâtiment du Bundeskonferenzpresse à Berlin

Les journalistes allemands sont très réticents à toute tentative d’ingérence de la part des politiques. Dans les Nouveux Chiens de Garde, Serge Halimi rapporte une histoire qui conduisit Jérôme Clément, alors président d’Arte, à annuler une émission où François Mitterand et Helmut Kohl devaient intervenir. La direction de la chaîne avait décidé  de «soumettre à MM. Kohl et Mitterrand une liste des journalistes susceptibles de les interroger. En Allemagne, le procédé choqua (…) Négocier avec la Chancellerie pour choisir un journaliste heurtait les règles de l’indépendance du journalisme en Allemagne »

A cela, il faut ajouter une double-proximité : sociale et géographique. Commençons par la deuxième, les rédactions des quotidiens nationaux tout comme les parlementaires et les autres politiciens sont établis à Paris. Venant de parcours très similaires, les fameuses voies royales, ils se sont déjà côtoyés sur les bancs de Sciences-Po ou d’autres IEP, ce qui bien entendu va faciliter des familiarités allant du tutoiement jusqu’à la vie privée partagée.

En Allemagne, la presse quotidienne nationale est quasi-inexistante. Le paysage médiatique est structuré par région. Cette structure fédérale permet aux rédactions des grands titres de se tenir à l’écart de toute influence de la capitale politique. Ainsi les connivences qui existent entre les correspondants à Berlin et les politiques sont soumises à un filtre géographique.

Les institutions allemandes sont tenues par l’ Auskunftsanspruch, le droit à l’information, de fournir aux journalistes les informations qu’ils demandent gratuitement. L’Auskunftsanspruch est relatif aux régions mais globalement il garantit le mêmes droits aux différents médias allemands. S’ils venaient à en être empêchés, les journalistes allemands peuvent faire appel à la justice.

Ainsi en 2008, le journaliste Stefan Heiser a poursuivi l’Université Libre de Berlin, qui ne lui fournissait pas des informations à propos d’une entreprise privée qui avait contactée certains élèves de l’université. Le déroulé de l’enquête est disponible sur le blog du journaliste.

Toutefois, en février 2013, le service fédéral allemand a été autorisé de refuser de donner des informations sur le passé nazi de certains de ses employés à un journaliste du quotidien BILD.

En France, en réaction au journalisme de complaisance s’est développé un journalisme d’investigation très agressif, auquel répondent traditionnellement les hommes politiques avec des attaques pour diffamation. Cette pratique, non sans risque pour les rédactions, vaut bien un point pour le journalisme d’investigation français, pas assez développé en Allemagne.

Dans un article de la taz paru en 2006, la correspondante autrichienne du Standard, dressait un portrait des différentes formes de citations que présentent les hommes politiques allemands.

L’unter eins c’est ce qu’on peut citer. L’unter zwei où le politicien ne doit pas être cité directement. Ce qui correspond à du “dit-on à Berlin”. L’unter drei enfin sont les informations qui peuvent ne servir qu’en arrière-plan, une sorte de “off” à la française.

En France le discours en off présuppose une certaine confiance entre le journaliste et l’homme politique. De la nécessité d’entretenir de bons rapports avec son carnet d’adresse.

Il est difficile de donner le point dans ce cas.

«Symboliquement, avec la relecture, on tombe vite dans la révérence, dans la connivence» déclarait un journaliste à Libération en 2012.

Face à la relecture d’articles, les deux pays sont confrontés à une perte de la spontanéité. Afin de s’assurer des autorisations d’interviews les journalistes des deux pays n’ont d’autres choix que de faire relire, voire de renégocier, les interviews par les services de presse des politiciens. Pas de point à donner ici non plus.

S’il est difficile de différencier le journalisme à la française de son voisin allemand sur ces deux derniers points, on constate que la centralisation du pouvoir politique et des médias encourage la connivence entre ces deux acteurs.

Pour se protéger de l’influence politique les deux pays ont su développer des stratégies différentes: les médias allemands sont dotés d’une barrière géographique qui leur permet de se tenir à l’écart de la sphère politique berlinoise ainsi que d’une législation en faveur d’une plus grande autorité. Toutefois le cas évoqué avec le quotidien BILD montre que cette législation n’est plus tout à fait garantie.

On peut donc recommander aux Allemands de continuer à développer le journalisme d’investigation, seul moyen qu’ont trouvé les médias français pour coincer leurs amis politiciens.

 

Jacques PEZET, Etudiant en master de journalisme franco-allemand à Paris 3.
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