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Edwy Plenel et le fonds Google : « Je mets en cause l’ensemble de ce processus »

Interview réalisée le 6 novembre, entre deux tables rondes des Assises du Journalisme 2013, qui se sont tenues à L’Arsenal de Metz, en collaboration avec Obsweb, Observatoire du webjournalisme.

 

Au débat inaugural ‘Réinventer le journalisme’, nous avons plutôt assisté à un bilan qu’à une réinvention.

 

Lors du débat inaugural , c’était inévitable qu’il soit rattrapé par la crise. Du coup, très vite, la question des modèles économiques est arrivée. Mais je ne crois pas que cela soit une mauvaise chose. Nous, journalistes, dans cette crise, où que nous soyons, nous devons nous battre pour la valeur de notre métier, ce qui veut dire créer de la valeur de l’information. Créer de la valeur par l’originalité, l’exclusivité, l’indépendance, l’audace de nos informations, et donc créer de la confiance avec le public. On ne peut pas s’en sortir en bricolant, en continuant à attendre des aides publiques d’un coté, du mécénat privé de l’autre. Il faut compter sur nous memes, et se battre aussi pour que l’écosystème au niveau de la société, des lois, des possibilité qui nous sont données pour avancer soient le plus juste possible, nous accompagne, mais il ne faut pas chercher des bouées de sauvetage.

 

Est-ce que Mediapart a déposé un dossier auprès de Ludovic Blécher pour pour le fonds Google?

 

Le fonds google, ce n’est pas seulement de Mediapart dont il s’agit mais du Spiil, dont Médiapart est le co-fondateur et dont je suis le secrétaire général. Nous avons une position radicalement critique sur ce fonds Google. Nous avons décidé de l’exprimer très fermement dans un communiqué où nous dénonçons des conflits d’intérêt et des entraves à la concurrence, et nous étudions actuellement une saisie de l’autorité de la concurrence contre l’existence de ce fonds.

En l’occurrence ce n’est Google –et c’est un paradoxe peut-être– notre adversaire. Notre adversaire c’est cette association qui a été créée il y a un peu plus d’un an qui s’appelle l’Association de la presse d’information politique et générale, l’AIPG, qui a été créée par les responsables du Nouvel Observateur [Nathalie Collin en est la présidente] et rejoints par d’autres journaux. Or cette association a monopolisé de manière indue quelque chose qui ne lui appartient pas, et a d’emblée, dans ses statuts, exclu la presse numérique. Ne peuvent être adhérents de cette association que des journaux qui ont une déclinaison papier. C’est une première entrave.

Cette association est partie dans une guerre frontale face à Google qui était en fait une sorte de guet-apens. Au bout de cette guerre, ils ont utilisé cette bataille frontale avec l’aide de la présidence de la république pour contraindre Google, pour que finalement ils mettent 60 millions sur la table pour ce fonds dont la gouvernance exclut totalement les nouveaux entrants, la presse qui innove, la presse numérique. Nous savons que Google a dit qu’il fallait qu’il y ait un représentant de la presse numérique au bureau de ce fonds, mais cela a été refusé.

Quand il s’agit d’argent, la transparence est essentielle, et elle est garantie par la diversité des acteurs. Le fond Google décide tout seul, il fait les questions et les réponses. Son directeur général [Ludovic Blécher, qui a quitté la direction du numérique de Libération], choisit en toute opacité, pas d’appel d’offres, pas de concurrence, décide lui-même les dossiers qui ont accès ou non au fonds Google. Je mets en cause l’ensemble de ce processus par rapport à l’argent, par rapport à l’idée d’aider. Cela veut dire que c’est une captation d’une manne privée, gérée par seulement une partie des opérateurs.

C’est ce que j’appelle une distorsion de concurrence. On sait que les aides publiques doivent régresser, et c’est une bonne chose, parce que je pense que les aides directes sont malsaines, et du coup on demande à Google de compenser cela, pour des projets à 2 millions d’euros au minimum. Ce sont des sommes énormes. Il y a de plus non publicité de l’ensemble de ces projets. C’est à nouveau un secret des affaires. Dans la répartition des aides publiques tout le monde est là, on peut savoir ce qui se passe. C’est quelque chose qui n’est pas libéral, ni d’un point de vue politique, ni d’un point de vue économique.

Ce n’est pas Google qui est demandeur de ce fonds au départ. Nous avons rencontré par exemple le groupe Springer. Au début ils ont cru à une vraie bataille de la presse française au niveau européen face au poids de Google par exemple dans la publicité, et du coup, ils n’ont rien compris: « les Français nous ont appelés pour une bataille, et finalement ils ont fait un deal dans leur coin avec Google? ». Les pires travers de ce qui a amené les aides publiques à être opaques, et cela se passe cette année où enfin nous avons des chiffres par titre: 19 millions pour Le Monde, 18 millions pour Le Figaro, près de 10 millions pour Libération d’aides directes. L’aide va aux plus riches, et pas aux innovants.

Il faudrait aider réellement à ceux qui inventent, et ne pas donner plus à ceux qui ont déjà plus, en terme d’actionnaires et en termes d’aides publiques.

Qu’est-ce qui va garantir qu’un dossier présenté au fonds Google ne sera pas présenté dans une forme avoisinante et un peu différente dans son habillement pour avoir des aides publiques. La réponse aujourd’hui c’est une déclaration sur l’honneur. Est-ce que cela suffit? Quels seront les contrôles?

Le fait que nous ayons été exclus depuis le début dans la conception de l’AIPG, comme dans la gestion interne de ce fonds, et c’est pour cela que nous avons observé pendant un an, montre bien qu’il y a un loup. Quand ce n’est pas clair, c’est que l’on veut cacher quelque chose, et je trouve cela très malsain.

 

 

Patrick de Saint Exupéry, co-fondateur et rédacteur en chef de la revue XXI vous a lancé, après vous avoir écouté: « Le futur de la presse ce n’est pas médiapart. On ne peut réduire le journalisme à Mediapart ». Quand on a votre forte personnalité, est-ce qu’il ne faut pas qu’on vous entende beaucoup plus sur ce sujet, le sujet AIPG et argent pour tout le monde ?

 

Je participe au Spiil, et notre texte a été traduit en Anglais pour que Google en connaisse bien le contenu. Quand je défends la transparence, l’égalité, les aides indirectes, une innovation juridique au niveau des sociétés de presse à but non lucratif, quand je pose le problème d’une pression sur les banques par rapport au paiement en ligne et aux incidents récurrents, je parle de questions clés. Ce que je trouve dommage, presque triste, c’est que les syndicats établis, les syndicats de la « vieille presse » –et ce n’est pas péjoratif– mais elle a son âge, une division du travail et des modèles économiques qui sont datés, au lieu de tendre la main à ceux qui sont des laboratoires d’innovation, se comportent en citadelles qui sont en bataille avec ceux qui créent.

Je sais parfaitement, car tout est public [ah, on croyait que justement c’était pas le cas…^^] que nos idées sont reprises, que par exemple Le Nouvel Observateur, grâce au fonds Google, va se lancer dans une zone payante. Ils vont augmenter la concurrence et c’est une bonne chose, mais je préférerais que cela se fasse dans une autre confraternité, et non pas dans cette bataille.

 

Ne croyez-vous pas que cela passe mal, lorsque vous dites « le nouvel Obs s’inspire de ce que l’on a fait ». N’est-ce pas présomptueux de votre part? Finalement, la zone payante, au niveau mondial, n’a pas été inventée par Mediapart…

 

Vous dites que la zone payante, vous ne l’avez pas inventée. Je pense qu’il faut que vous complétiez votre phrase. Nous sommes les premiers à avoir montré que cela marchait. Avec sa zones payante, Mediapart est devenu profitable à partir de 2010. Le Temps l’est devenu en 2011. Mediapart est un laboratoire utile à toute la profession. Ce n’est pas présomptueux, ce n’est pas prétentieux. Nous avons mis tout sur la table, et nous frayons comme des audacieux, des hypothèses qui vont vous servir à tous.

Le fonds Google est une mauvaise nouvelle : il montre qu’au lieu d’accepter de se remettre en cause, on continue, en passant à une manne privée, les vieilles méthodes de clientélisme de la vieille presse. Avec des conflits d’intérets, et des liens avec le pouvoir politique. L’annonce du fonds Google s’est faite à L’Elysée, et le document signé, on ne peut pas l’avoir, il est protégé par le secret des affaires.

 

Les mêmes méthodes que nous avons critiqué sous Sarkozy, où l’on va faire la cour au Président de la République pour qu’il fasse des États généraux, et dépense des millions à perte sans rénover, sont utilisées là, et c’est malsain.

Nous disons à tous ceux, qui, même de bonne foi, vont accepter ce système, que c’est malsain. Je préfère crier seul l’alarme, plutôt que personne ne le dise. Sur les États généraux, Mediapart a été le seul à les boycotter. Aujourd’hui tout le monde dit que c’était une occasion manquée.

Je dis la même chose aujourd’hui. Nous allons voir si nos recours juridiques tiennent la route vis-à-vis de l’autorité de la concurrence et nous poserons ces problèmes, et cela aidera tout le monde, et permettra de prendre une ligne de crête, et de ne pas s’enfoncer plus avant.

Ce n’est pas présomptueux. Mais c’est présomptueux comme toute personne qui se bat, comme toute personne qui a des convictions. Je n’ai pas d’autre conviction que le journalisme a une valeur, et qu’il est utile à la démocratie.

 

 

 

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