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Réinventer les rédactions

Les entreprises de médias sont aux prises avec une forme de contradiction insoluble qui voit celles-ci réduire leurs effectifs de journalistes, diminuer le nombre des journalistes spécialisés au sein de celles-ci, au profit de généralistes polyvalents, au moment où les attentes des publics en matière de qualité, de diversité des contenus, de multiplicité des supports ne cessent de s’élever. Avec des méthodes de travail et des modes d’organisation inchangées, l’écart ne peut que se creuser, comme le dénoncent la plupart des analyses des syndicats de journalistes. Il n’est d’autre voie pour réduire la contradiction, et le risque de divorce entre les journalistes et leurs publics, que d’inventer de nouvelles formes de rédactions, aux modes d’organisations à imaginer et expérimenter de manière permanente dans un contexte de mutation dont les modalités et le terme sont des plus incertains.

Remise en question des modèles économiques

Chacun l’a compris, les modèles économiques des médias traditionnels sont profondément fragilisés, alors même que ceux des nouveaux médias numériques peinent à se dessiner. La baisse des ressources publicitaires, faite de la disparition des petites annonces, du recul des tarifs publicitaires, du transfert sur de nouveaux supports, a vocation à se poursuivre. Cette perte de ressource se cumule avec les changements dans les usages liés à l’importance de la gratuité, en même temps que l’abandon de la fréquentation de supports tels que l’imprimé pour certains âges ou catégories de publics, avec les ressources afférentes. Simultanément la compensation par les recettes des développements numériques reste très insuffisante (ex. 12 % pour Les Echos), alors même que les pure players d’information, dans leur majorité, peinent à atteindre l’équilibre.

La presse imprimée est le segment le plus fragilisé, avec des baisses d’effectifs importantes. Lors des dernières Assises du journalisme (à Metz) la liste était longue des plans visant à diminuer les effectifs des rédactions tout particulièrement en presse régionale, où le nombre de journalistes diminue de 6,5 % en deux ans. Les exemples à l’étranger, aux États Unis ou en Espagne, sont encore plus impressionnants puisque c’est de l’ordre de 30 % que le nombre de journalistes se voit réduit. Les effectifs des rédactions numériques, à commencer par les pure players sont modestes, au regard de ceux qui prévalaient dans les médias traditionnels. (Voir le baromètre de l’emploi, sur le sites des Assises)

Le défi est d’autant plus grand que les rédactions interviennent sur toujours plus de supports (imprimé, Internet fixe, Smartphone, tablettes, etc.) et qu’à chacun correspondent des formes d’usage (horaires, types de contenus et fonctionnalités mis en œuvre, contextes d’utilisation). Soit l’obligation de concevoir et mettre en œuvre des contenus et formes éditoriales spécifiques à chacun d’eux.

Nouvelles narrations et innovation éditoriale

La diversité des supports, chronologies, types de contenus, formes de narration, occupe toujours plus de journalistes sur ces fonctionnalités. Ceux-ci expérimentent des collaborations inédites journalistes / développeurs / designers / … Le risque est de voir s’atrophier les moyens dévolus à la collecte d’information, ainsi qu’à l’expertise, alors que l’éventail des thèmes traités s’élargit, en même temps qu’ils se complexifient.

L’appauvrissement de la qualité de l’information, souvent redouté, voire dénoncé dans le débat public devenu, apparaît inéluctable, sauf à repenser complètement les modèles de rédactions, leurs organisations et leurs fonctionnements.

Des rédactions ouvertes et horizontales

Il n’y aura pas un mais des modèles de rédactions à imaginer. Ceux-ci devront s’ouvrir de manière à faire collaborer les journalistes de la rédaction, avec des journalistes à l’extérieur, qu’il s’agisse d’individus (pigistes, free-lance) ou de collectifs, spécialisés dans un type d’information (agences) ou des formes éditoriales, tel PolitiFact aux États Unis, qui alimente en fact checking une multiplicité de quotidiens locaux.

Les rédactions ouvertes associent la contribution de témoins, observateurs, spécialistes, à la collecte d’information, y compris l’information de flux très rapide sous toutes ses formes (vidéos, images, sons, etc.). Selon d’autres modalités elles intègrent ponctuellement ou régulièrement, la compétence, l’expertise, particulièrement sur domaines les plus complexes. Des chercheurs, universitaires, spécialistes de différents domaines, fournissent une contribution brute ou mise en forme, à l’intérieur un encadrement journalistique. Soit une forme largement développée par des pure players d’information, comme HuffingtonPost, Slate, Rue89, …

Expérimentation et formation

Les modèles de rédactions ne se révéleront pas en une fois, ni venant d’ailleurs. Partout règne la même incertitude et le même impératif d’invention. C’est dire que les rédactions doivent intégrer très vite en leur cœur, mais sans doute aussi à leur périphérie (pure players) l’expérimentation, avec des équipes de journalistes spécialement dédiés à celle-ci.

En corollaire la notion d’expérimentation doit trouver sa place dans la formation. Les écoles ont vocation à prendre toute leur part dans le double processus innovation / expérimentation. Leur prise en charge de l’accompagnement de l’expérimentation au sein des médias intervient à la fois au niveau initial, en formant de futurs journalistes préparés à ce type d’exercice fait de recherche et remise en question permanente ; et à la fois en formation continue, en offrant aux rédactions et journalistes autant d’opportunités d’actualiser leur compétence, préparer les transformations à venir.

Jean-Marie Charon

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