Tout a commencé avec la musique : Napster, vous vous souvenez ? Or c’est déjà de l’histoire … ancienne ! Et puis le cinéma, la télévision, la téléphonie, la presse, etc., de la production à la distribution, tous les modèles économiques traditionnels – grâce auxquels les acteurs majeurs des différents secteurs (souvent les mêmes, du reste) ont dégagé des marges faramineuses pendant des décennies – volent en éclat, balayés par des « disrupteurs » : Google, Apple, Facebook, Amazon, ces GAFA des temps modernes, auxquels il faut ajouter quelques « licornes » comme Uber, AirBnb ou, last but not least, Netflix, dont les valorisations explosent et dépassent rapidement celles des grandes entreprises traditionnelles.
Vala Afshar, nouveau gourou du numérique de Salesforce, répète souvent que Uber, AirBnb ou Netflix n’opèrent ni dans les transports, le logement ou les loisirs, mais dans le big data – ou l’économie de la demande -, et qu’aujourd’hui les entreprises qui ne sont pas numériques sont destinées à péricliter.
Naturellement, les médias étant au cœur de ce chamboulement, nous assistons en direct à des repositionnements à tout-va. Avec un parallèle évident en termes de pertes d’abonnés aussi bien à la télé que dans les journaux, notamment chez les plus jeunes générations (les « millenials », nés entre les années 80 et 2000) :
Et une autre constante : la dimension nationale n’est plus suffisante pour faire le poids face à une concurrence planétaire sur Internet, d’où la nécessité de sortir des frontières pour nouer des partenariats transnationaux, notamment dans la presse, qui a besoin d’évoluer en passant de la publication papier à l’édition numérique.
Des baisses marquées dont les conséquences vont bien au-delà du volet économique, puisque depuis toujours télé et journaux sont les principaux vecteurs de l’information auprès des opinions publiques, avec toutes les répercussions possibles que je laisse aux lectrices et lecteurs le soin d’imaginer…
Voilà les raisons pour lesquelles nous assistons à de grandes manœuvres depuis déjà des mois, notamment avec l’accélération de Pearson ces dernières semaines, qui a d’abord vendu le Financial Times Group au japonais Nikkei, avant de se désengager de The Economist Group en cédant une part majoritaire à l’italien Exor.
La situation italienne offre d’ailleurs de nombreux exemples de l’évolution en cours.
En juin 2014, Vincent Bolloré, via Vivendi, devient premier actionnaire de Telecom Italia, qui était alors le premier opérateur italien de téléphonie mobile, devancé entre-temps par la fusion entre Wind et Tre Italia, orchestrée respectivement par le russe Vimpelcom et par le groupe de Hong Kong Hutchison.
Or selon certains analystes, l’opération Telecom Italia de Vincent Bolloré pourrait bien être la porte d’entrée pour un rapprochement avec Mediaset, le groupe de la famille Berlusconi, qui continue de son côté à faire la pluie et le beau temps dans la réorganisation du paysage audiovisuel transalpin, puisqu’il a joué un rôle déterminant dans l’élection du nouveau conseil d’administration de la RAI, la télévision publique italienne, après avoir vainement tenté en début d’année de faire main basse sur le réseau d’émetteurs de RAI WAY.
Berlusconi n’abandonne pas non plus la carte Murdoch, puisque des rencontres ont déjà eu lieu en présence de Tarak Ben Ammar en vue d’un fusionnement de leurs respectives plateformes payantes en Italie, Sky Italia et Mediaset Premium.
Tarak Ben Ammar (qui siège également au conseil d’administration de Vivendi, soit dit en passant) confiait aux Échos : « Face à l’arrivée de Netflix et d’Amazon en Europe, la logique économique pousse à la consolidation des plates-formes payantes. Les vrais concurrents sont les acteurs du Net, … ».
Selon un autre intervenant, toujours cité par Les Échos, Netflix est « l’agrégateur de contenus le plus puissant du monde aujourd’hui, personne ne lui arrive à la cheville », une situation dont souffrent énormément les grands groupes américains de l’audiovisuel.
Il en va de même pour la presse, dont les courbes de ventes ne cessent de baisser, comme le montre le graphique ci-dessus : pour prendre le seul exemple de The Economist, les ventes papier du magazine ont pratiquement été divisées par deux entre 2008 et 2013, même si un fort redressement provient du numérique, avec plus de 50 000 exemplaires de l’édition en ligne vendus en 2014 par rapport à 2013 [pdf] !
Ce doit être l’une des raisons qui ont convaincu John Elkann à affirmer que le groupe dont il est à présent premier actionnaire dispose d’un formidable potentiel de croissance, sous réserve qu’il conserve son indépendance éditoriale jalousement proclamée.
En conclusion, dans cette course permanente au positionnement, anglais, français, italiens, américains, russes, chinois ou japonais et biens d’autres impossibles à citer dans un seul article, essaient de manœuvrer le mieux qu’ils peuvent pour ne pas être balayés par la concurrence des nouveaux acteurs de l’économie de la demande, qui évolue à la vitesse grand V ! Comme je le citais récemment dans un billet sur les infinies tergiversations de Yahoo :
C’est un peu la même histoire que Blockbuster qui refusa d’acheter Netflix en 2000 pour la modique somme de 50 millions $.
Quinze ans plus tard, Blockbuster n’existe plus et Netflix vaut plus ou moins 53 Mds $, ce qui n’est plus très loin de la valorisation de la Twenty-First Century Fox Inc de Murdoch, et à ce rythme…
Idem pour Uber, fort d’une progression impressionnante, qui a pratiquement dépassé la capitalisation de General Motors !
À la veille des bouleversements en passe de se concrétiser, on comprend mieux le but ultime de tous ces recentrages pour l’avenir de ces sociétés : vivre ou mourir.
Jean-Marie LE RAY
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