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3 ans pour 30 minutes : les joies de l’autoprod’ documentaire

3 ans pour 30 minutes : les joies de l’autoprod’ documentaire

L’Observatoire des Médias a demandé à Benjamin Polle [followbutton username=’B_Polle’ count=’false’ lang=’fr’] de raconter, en détail, l’histoire du documentaire qu’il a réalisé avec Julien Le Net.

12 décembre 2015. Message non-lu : « Et maintenant nos terres » au Festival du Film Vert. Une nouvelle sélection pour le court-métrage que Julien Le Net et moi-même avons co-réalisé entre 2012 et 2016. Hourra !

Changer le regard sur un sujet dur et violent

Cette fois-ci, les 30 minutes du film seront diffusées dans un festival en Suisse romande sur le sujet de l’environnement qui a lieu en mars 2016. Achevé un an plus tôt, il a été vu par quelques milliers de spectateurs dans une dizaine de pays francophones via le festival Alimenterre, le Festival des films positifs, Écologie au Quotidien, depuis sa première en mai 2015 au Comptoir général à Paris. Au mois de mars 2016, également, 500 exemplaires de copies du film devaient être distribuées par la Caravane ouest-africaine sur l’eau, la terre, les semences, organisée du Burkina Faso au Sénégal, en passant par le Mali par plusieurs centaines d’associations paysannes militant pour un meilleur partage de ces ressources. En avril, quand la diffusion sera sur le point de souffler sa première bougie, Et Maintenant nos terres ira faire un bref tour au Canada.

Le sujet de ce documentaire de 30 minutes ? Les résistances aux expropriations foncières en Afrique, premier continent visé par le phénomène et considéré comme la plus grande réserve de terres au monde. Sujet dur et parfois violent, souvent abordé sous la forme d’un recensement monotone et déprimant des contrats passés entre États et multinationales étrangères, entre États et entreprises nationales, entre États et dignitaires nationaux – sur fond de gestion coutumière des droits fonciers où opposer un titre de propriété à un investisseur international ou national est très souvent impossible.

Faire une enquête engagée mais équilibrée

Notre pari : aborder ce sujet, dur et parfois violent, du point de vue d’habitants et d’agriculteurs localement impactés et qui parviennent à défendre leur droit au sol. Nous voulions aborder un sujet difficile avec un regard local, dynamique et porteur de développement – le tout avec le sérieux d’une enquête qui ne donnait pas dans le manichéisme, sur le mode le gentil paysan contre la méchante entreprise. Voilà quel était le cahier des charges.

Une petite aventure journalistique et documentaire extraprofessionnelle, menée la fleur au fusil d’un bout à l’autre, qui nous a exposés à tous les métiers de la chaîne de la production audiovisuelle (auteur, producteur, réalisateur puis distributeur) et que nous avons financée avec des bas de laine. Une expérience qui est, à ce titre, très instructive à l’heure où la question des modèles économiques d’une information de qualité interroge. D’où cet article qui en donne une réalité.

Resserrer son sujet

Rembobinage. C’est parti d’un mail à un camarade de promo. En quelques lignes enthousiastes, nous lançons l’idée d’un film africain sur la « société civile engagée dans la défense de [ses] droits », avec en bruit de fond des sociétés civiles qui montrent qu’elles ont du muscle (cf. Y en a marre au Sénégal, le Balai citoyen au Burkina Faso). Vaste programme. Un gros bloc de pierre. Une idée que nous n’avons cessé de retailler par touches successives pendant les 40 mois suivants, certes à temps très très très partiel.

Tout d’abord en rattachant le sujet des droits individuels à celui des spoliations foncières dans des pays encore majoritairement ruraux, dont l’agriculture compte souvent pour une part majoritaire de l’économie.

En faisant feu de tout bois dans la recherche de sources variées. Il y avait bien sûr eu le fameux Planète à Vendre diffusé sur Arte qui avait popularisé le sujet.

Des ouvrages plus spécialisés comme La Guerre des Terres de Thierry Pouch qui est paru chez Choiseul. Le Land Matrix, mis en ligne en 2012, et qui comptabilise depuis les contrats de concessions foncières dans les pays en développement.

Des histoires de résistances foncières diverses et variées, au Mali avec le CNOP (Coordination nationale des organisations paysannes) contestant une concession à l’État libyen de 100 000 hectares dans l’office du Niger, qui entendait y aménager des champs de riziculture, avant que le projet ne soit purement et simplement abandonné après la chute de Kadhafi.

Mais aussi sur d’autres continents : l’ineffable mouvement brésilien des Sans-terre, l’organisation indonésienne KPA qui mobilise une forte base populaire contre les impacts nombreux de l’exploitation des palmiers. En Europe, en Roumanie, en France (Notre-Dame-des-Landes et les autres “zone à défendre” promues par les militants)… Les exemples de résistances foncières abondent.

Faire émerger son angle

En quoi l’histoire que nous voulions raconter pouvait-elle se distinguer ? Il nous faudra une année (à raison d’un point par mois), une bonne dizaine de rendez-vous avec des experts, un passage par le Burkina, pour accoucher d’un angle, de trois “héros” africains de cette résistance, d’un titre et d’un site (http://maintenantnosterres.com). Un joyeux pot-pourri d’avant-tournage qui, nous l’espérions, pourrait être suffisant pour nous attirer les bonnes grâces du Centre national du cinéma et de l’image animée, et son aide à l’écriture.

À notre dossier polycopié en sept exemplaires, on nous renvoie un refus cordial : intéressant, mais sujet insuffisamment incarné. On aura beau demander une dérogation et insister sur l’intérêt de l’histoire que nous entendions raconter depuis le Cameroun, le Bénin et le Sénégal. Rien n’y fait. Pas plus de veine d’ailleurs aux Brouillons de la Scam. “Tu sais l’international, et surtout l’Afrique, ça ne marche pas”, nous dira une journaliste habituée des documentaires audiovisuels. Nous découvrons aussi que la plupart des chaînes de télévision pré-achètent leurs documentaires sur la foi d’une feuille A4 (au Sunny Side of the Doc, au Fipa… etc). Et que porter un projet de film hors de ces sentiers battus, de ces marchés, est dur, voire mission impossible.

Donc : autofinancer son film

Candides au pays de la production documentaire, nous nous faisons donc à l’idée d’autofinancer notre film (tous deux salariés en CDI). Et attention les mirettes : Paris – Yaoundé – Douala – Cotonou – Dakar – Paris, comptez 2 000 euros pour deux personnes pour quatre vols. Il faut donc les sortir et bosser en parallèle. C’est d’ailleurs début 2014 qu’on annonce à nos employeurs respectifs qu’on prendra jusqu’au plus petit jour de congé et du sans solde pour partir tourner.

Le tournage est finalement calé du 15 juillet à début septembre. Si les voies institutionnelles classiques ne nous réussissent pas, l’informel amicale de professionnels séduits par la pertinence de notre sujet marche à plein. On grappille une superbe caméra chez Paul Urbain, un appareil photo et des micros HF chez les Artisans du film, Jean-Baptiste Verwaerde nous initie au b.a.-ba du maniement d’une caméra (balance des blancs, zébra, mise au point, synchronisation du son, gérer ses ruhs, ses dérushs, ses cartes mémoire, etc… ), Oriane Juster, après avoir mis en forme nos malheureux dossiers de demande de subvention et créé le site, contribue largement en torturant le logiciel After Effects pour expliquer en deux minutes le pourquoi du comment des conflits fonciers africains.

À l’aéroport de Bruxelles, mi-juillet 2014, avant de sauter dans l’avion, nous mettons la dernière main à la campagne KissKissbankBank que nous ferons vivre en parallèle du tournage. Objectif : financer le montage à notre retour deux mois plus tard.

Mettre le point final

Au dernier trimestre 2014, on met le grappin sur deux monteurs, Baptiste Grandin et Ilhan Palayret si justement recommandés par Nicolas Servain. Ils acceptent de se fader les 1 219 minutes de nos images (20 heures grosso modo) pour nous en livrer 30 minutes au rasoir au terme de 6 semaines à temps plein. À condition d’être prêt au débat, à la discussion et au compromis, quel exercice passionnant que les allers-retours entre l’intention d’auteurs-réalisateurs et l’esprit faiseur du monteur!

Il nous faudra encore une voix (la très vénérée voix française de Will Smith, Greg Germain que nous avons défrayé d’une modeste chemise blanche à sa demande) enregistrée dans les studios d’Arte Radio lors d’une matinée mémorable (ici encore big up à Jean-Baptiste Verwaerde), un habillage visuel et un générique (ici encore big up à Oriane Juster).

Début mai 2015, finalement, le bébé est là. Et fait sa première à Paris. Passé l’émotion très sincère, un autre travail s’ouvre alors, non moins fastidieux (d’où les distributeurs !) : faire en sorte que le film soit vu, exercice difficile pour les mêmes raisons que celles évoquées lors de la production.

Dossiers, encore des bonnes âmes (coucou Rouge Productions et Jean Bigot) mails en pagaye à toutes les chaînes publiques (qui une à une nous répondront cordialement “intéressant mais pas dans la ligne éditoriale”), à tous les festivals qui pourraient avoir une dominante environnement – agriculture – Afrique…

Avec le modeste succès que vous savez et le petit espoir de continuer à faire vivre le film pendant une année encore. En parallèle, nous explorons aussi la piste de la distribution en direct via Vimeo, le site en ligne de partage de vidéos. La version professionnelle permet de proposer ses films à la location en streaming (dans notre cas à 5 euros pour un mois). Mais le taux de transformation de la bande-annonce au stream, inférieur à 3% selon Vimeo, permet tout juste de revenir sur le coût du compte professionnel (159 euros par an) après 1 000 visionnages de la bande-annonce.

Appel aux diffuseurs

Nous développons, enfin, une traduction en anglais, un webdoc (ici encore big up à Oriane Juster et Nicolas Servain) avec du texte, des vidéos inédites (cf. les 1 200 minutes plus haut), des photos et de la vidéo pour lequel, devinez quoi, nous cherchons un diffuseur.

Si notre documentaire perd évidemment de son actualité au fil des mois, le sujet des conflits fonciers, lui, va demeurer, voire s’intensifier. Le fond de son propos demeurera pertinent : des agriculteurs africains qui militent avec raison et succès pour mieux vivre de leur sol, sur un continent encore majoritairement rural.

Voir Et Maintenant nos terres ?

C’est par ici : https://vimeo.com/ondemand/maintenantnosterres
Pour contacter les réalisateurs par là : maintenantnosterres@gmail.com

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