L’Observatoire des Médias : Dans ce monde où des médias de service public vont contribuer à la nouvelle chaîne publique d’information, comment fait-on pour garder son identité ?
Sandrine Treiner : J’ai plutôt tendance à penser que c’est de plus en plus facile. Ça dépend ce qu’on appelle une identité ou une singularité. On représente tout sauf une singularité de niche, pour parler entreprise de la culture, on est tout sauf une niche quand vous avez un million quatre cent mille personnes qui passent tous les jours sur votre antenne Si c’est une niche, il y a énormément de chiens dans la niche !
Il ne s’agit pas de cultiver une identité différente, il s’agit d’une antenne qui est intrinsèquement, sans avoir aucun besoin de se forcer sans avoir besoin de se fabriquer une posture, une antenne différente.
Alors pourquoi ? Parce que nous pensons qu’un autre ton radiophonique, un autre temps radiophonique, une autre manière de penser l’actualité, de la mettre en lumière est possible et qu’elle a aujourd’hui non seulement un public mais un public grandissant.
Cela veut dire qu’en tant qu’antenne généraliste, nous sommes aussi une antenne généraliste avec des news à 8 heures etc.
Au fond qu’est-ce qu’on produit ? On produit de l’information. C’est une mission extrêmement importante pour une antenne de service public et puis on produit à mon sens ce qui permet de vraiment comprendre ce que l’on a dit dans les journaux. C’est ça la particularité de France Culture : pour ça il faut un temps spécifique, donc on a du temps, on laisse le temps. Nos émissions généralement font une heure. On pourrait se dire oui « est-ce que ça correspond au rythme de vie d’aujourd’hui ? » : précisément, on se rend compte que grâce au numérique on peut proposer une forme de contre-grille, de contre-programmation.
Comment gérer le mercato au sein même de Radio France ? Quand par exemple Claude Guibal, grande voix pour l’international, va chez Inter ?
D’une part Claude Guibal c’est presque le cas où la question ne se posait pas : d’une part elle n’est que momentanément sur France Inter jusqu’à cet été, mais surtout elle a été très longtemps comme vous le savez correspondante. Elle a été correspondante de Radio France au Caire. Une correspondante de Radio France, c’est une correspondante de Radio France, c’est-à-dire autant sur Culture sur Inter ou sur Info. Quand elle est revenue en France, elle est venue sur France Culture, mais il y a une porosité des rédactions. La question ce n’est pas de savoir si Claude Guibal est sur France Culture ou France Inter, c’est savoir ce qu’elle y fait et comment elle le fait.
Précisément en raison de cette question des temps et des formats, Claude, pour ne citer qu’elle, fait forcément des papiers qui sont différents. L’anglage assez international de France Culture l’amenait effectivement à avoir plus de temps à France Culture, mais à France Inter, elle n’est pas « France Culture à France Inter » : Elle est Claude Guibal qui travaille pour France Inter. Elle travaille un peu différemment. Il faudrait lui poser la question mais c’est probablement de cela qu’il s’agit.
En revanche du côté des émissions, les gens peuvent éventuellement passer d’une antenne à l’autre, mais en revanche l’émission de philosophie de France Culture est plus puissante en réalité que la personne qui la fait. C’est vrai de l’Histoire, c’est vrai de la géopolitique, c’est vrai de tout. Quand bien même les personnes évoluent et tant mieux s’ils en ont envie passent à France Inter ou ailleurs, l’émission, elle, reste à France Culture, donc la singularité reste à France Culture. Cela dit, le petit bémol c’est qu’on peut avoir le sentiment parfois que, y compris évidemment en dehors du service public, France Culture donne aussi des idées à d’autres antennes, et que donc de temps en temps, on se dit « Là ils font du France Culture ». Tant mieux.
Parlez-nous de votre nouveau bébé, à savoir le nouveau site internet de France Culture.
Le bébé, d’abord dans un premier temps on est toujours très content du bébé. Les autres ne vous disent rien d’ailleurs parce qu’ils savent que vous le prendriez très mal. Le nouveau bébé est épatant d’abord parce que c’est un bébé bien fichu, très simple d’utilisation, la condition sine qua non de la chose : Il a un player qui fonctionne, il y a des sons qui arrivent et donc, en l’espace de deux mois il est déjà de +35 % d’écoute des propositions des propositions radiophoniques.
Il nous permet de faire des choses auxquelles je tiens beaucoup, qui est tout le travail d’éditorialisation et de ré-éditorialisation du fonds de France Culture ce que l’ancien ne permettait pas. Du reste l’ancien permettait à peine l’écoute de la radio. Il ne permettait même pas l’écoute de la radio sur les smartphones et les tablettes. Donc oui, je suis très contente.
Maintenant, c’est le tout début de notre nouvelle réflexion : « à quoi va ressembler le récit numérique de France Culture », et pour le moment, nous commençons à travailler, nous n’avons posé que les bases.
Il y a des endroits où on est seuls. On n’est pas seuls par exemple sur l’actualité culturelle, et heureusement pour la culture dans ce pays. En revanche on est sans doute seuls sur la question de du lien entre les savoirs et le monde, entre les savoirs et l’actu. C’est beaucoup de ce côté-là que l’on va développer notre proposition : nous pourrions devenir une sorte de gigantesque webradio des savoirs. Vous vous brancheriez sur France Culture et vous tomberiez toujours, tout le temps, sur une conférence de très haut niveau, une émission de connaissances moderne et qui en même temps vous fait comprendre des choses que vous ne saviez pas avant. Je pense qu’on a un boulevard.
Où en est l’adoption de l’outil web par les équipes de France Culture ?
Concernant les journalistes, en tant que tels, et de manière globale sur l’ensemble de la maison ronde – et cela aura été l’enjeu de l’année 2016 – nous arriverons à un accord multimédia qui permettra de clarifier les missions de chacun. Pour autant, les gens qui font les antennes sont des gens formidables qui n’attendent pas cet accord multimédia pour travailler, même s’ils considèrent – et je le comprends très bien – que c’est très important. Nombreux sont les journalistes qui, maintenant que nous avons le nouveau site qui est beaucoup plus simple d’utilisation pour nous, nombreux sont les journalistes qui postent leurs chroniques, leurs journaux, leurs papiers alors qu’ils ne le faisaient pas avant tout simplement parce que c’était très long et très casse-pieds.
Par ailleurs, environ 80 % des émissions ont une page tout à fait entretenue, se sont développées sur les réseaux sociaux, que nous développons beaucoup. On développe aussi la vidéo : nous allons détacher quelqu’un qui va se mettre à travailler activement là-dessus, étant posé que notre réflexion est de se dire que contrairement à France Inter ou France Info, nous n’allons pas directement filmer nos émissions parce qu’on a moins besoin de reprises, d’exposition, et on a moins de modules courts à exposer.
En revanche nous allons accompagner en vidéo et en photographie nos productions documentaires, nos fictions : nous avons déjà commencé à créer des petits modules de vidéos qui ne sont pas du filmage, mais qui sont vraiment de la création de vidéo ou photographique.On commence à travailler sur tous ces enjeux.
France Culture est partenaire du Forum d’Avignon. Pourquoi ce partenariat ?
Le Forum d’Avignon a fort aimablement proposé que France Culture soit le partenaire privilégié de l’événement. La première évidence est que je veux que dans France Culture soit puissamment présente là où il est question de culture. Je pense que non seulement nous sommes un relais de la culture et des savoirs, mais nous avons aussi un discours sur la nécessité de la culture et des savoirs. C’est une chaîne qui met en œuvre et qui remet en œuvre tous les jours 24 heures sur 24 une forme d’engagement qui est un engagement de service public, citoyen et de passion. France Culture est aujourd’hui une grande antenne, qui rayonne fortement, très suivie, qui reste – voire qui est de plus en plus à certains égards – une antenne extrêmement singulière où l’on s’engage.