L'Observatoire des médias

Journalistes et chocolat au lait : don’t fuck with your level of english !

Faire du journalisme c’est bien. Reprendre une info croustillante sur un site américain, car l’on pense que cela fait du clic, ou que cela puisse « détendre » son internaute, cela arrive, dans nos rédactions « modernes ». Mais… dans ce cas-là, il faut faire attention à son niveau d’anglais. 

Mise à jour du 3 mars 2018 : 

Le site hacking-social.com vient de mettre en ligne un article et une vidéo qui reprend cette histoire. Merci à eux d’avoir sourcé  l’Observatoire des Médias comme « Critique française » ! Voici la vidéo  : 

La suite de notre billet original de juin 2017 :

Capture d'écran de l'application FranceInfo qui montre un article sur le chocolat au lait
L’application Franceinfo, le samedi 17 juin à 9h29
On a vu fleurir ce week-end une info, à la base tirée par les cheveux, et ensuite TRÈS mal traduite, puis corrigée, mais pas partout. 

Pour moi, cela avait commencé ce samedi matin, à 9h30, en balayant l’appli Franceinfo. 

Je vois dans « les titres » cette info datée de 22h37 la veille. Le titre est très accrocheur. 16 millions d’Américains. Rien que ça. « Plus de 16 millions d’Américains ignorent de quoi est fait le chocolat au lait. »

Par bonheur, l’article met les liens vers la source : 

un lien est présent sur le site et l’appli de Franceinfo

Le souci, c’est que le ou la journaliste à la base de cette info en France (qui n’est a priori pas le ou la journaliste de Franceinfo) ne parle pas bien l’anglais.

Don’t fuck with your level of English : un problème de culture.

Le titre sur le site du ‘Washington Post’

Quand on suit le lien sur le site du Washington Post, on s’aperçoit tout de suite de la bourde : le WaPo écrit « chocolate milk« , et nous nous retrouvons ici avec « chocolat au lait« . Non. En anglais, j’inverse, je dis  « tomato sauce » ou encore « spring break ». La base.

L’article corrigé chez Franceinfo

Il s’agit donc en français, si on voulait reprendre cette info, de la traduire en « lait chocolaté » ou « lait au chocolat« . C’est ce qu’a fait le matin même Franceinfo, en corrigeant l’article, presque au moment où j’étais en train de le lire.

Je me rends donc compte que le titre a changé, ainsi que l’image d’illustration. Les premières occurrences de l’erreur changent également.

capture réalisée le dimanche 18 juin à 12h06

Mais pas toutes. On se retrouve encore avec un « chocolat au lait » dans le texte.

Un problème de sens dans le chocolat au lait !

Comment Franceinfo a été alerté? Peut-être dans les commentaires, dont l’un pointait rapidement l’erreur d’interprétation, de traduction. Mais pas que. Il se trouve que l’article du Washington Post a lui-même visiblement été retitré. Quand on analyse l’url on voit ceci : « seven-percent-of-americans-think-chocolate-milk-comes-from-brown-cows-and-thats-not-even-the-scary-part« … qui est devenu « the suprising number ». Et ce n’est que dans le corps du texte que l’extrapolation du sondage pour obtenir les 16 millions apparaît : 

Seven percent of all American adults believe that chocolate milk comes from brown cows, according to a nationally representative online survey commissioned by the Innovation Center of U.S. Dairy.

If you do the math, that works out to 16.4 million misinformed, milk-drinking people. The equivalent of the population of Pennsylvania (and then some!) does not know that chocolate milk is milk, cocoa and sugar.

L’auteur de l’article met bien la source corrigée, d’ailleurs : un sondage en ligne réalisé par le « Innovation Center of U.S. Dairy« , repris ensuite par le site Food and Wine, puis par le WaPo.  Et ce n’est que là qu’on aura la trace des sources du sondage : « The Innovation Center for U.S. Dairy conducted a survey of more than 1,000 adults 18 and over in April of this year. They uncovered some shocking facts about how people think about – and drink – milk. »

1000 adultes de plus de 18 ans. De là à titrer « Plus de 16 millions d’Américains… » je trouve cela malhonnête.

Un problème de suivisme

Brève publiée sur le site de L’Obs à 12h59 le vendredi 16/06

Mais d’où est venue cette reprise, sur les sites français?

Interrogé par l’Observatoire des Médias samedi matin, après la correction de l’article chez eux, FranceInfo nous dit qu’il ne s’agissait pas d’une dépêche AFP, sinon, elle aurait été co-signée AFP

Et nous avons vérifié ce matin, Non, il ne s’agit pas d’une dépêche erronée, ce qui aurait pu expliquer la diffusion de l’info.

Non, il s’agit bien de suivisme.

Cette info était -elle venue du site de L’Obs?  La brève publiée à 12h59 le vendredi à 12h59 n’était toujours pas corrigée ce dimanche à 11h55.

On peut retrouver le sondage mal traduit sur le site de Corse Matin, avec un article posté le vendredi 16 juin 2017 à 15h44, et pas corrigé depuis : 

Le chocolat au lait, toujours sur le site de Corse Matin

Mais aussi chez nos confrères d’Europe 1, où la date de publication est du lendemain, et l’article toujours pas mis à jour.

Un article en déshérence, sur le site Europe1.fr

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas là d’une sombre affaire de fakenews. L’erreur est humaine. Il ne s’agit pas d’un esprit malin qui aurait voulu nous induire en erreur. C’est une info « lègère ». Mais c’est un problème de rigueur. Double. Une information, à la base tirée par les cheveux par un site américain, ensuite très mal traduite, mais aussi et surtout, une ribambelle de sites qui reprennent… sans vérifier, sans lire, sans suivre les liens… Comme par exemple Europe 1, qui met un lien (oui, on vous apprend à mettre des liens dans vos articles et il faut continuer) mais qui ne les suit pas, qui ne les lit pas.

Plusieurs sites ont repris l’info, mais la bonne, et ont à la fois préféré titrer sur les 7% que les 16 millions, tout en parlant de lait chocolaté et pas de chocolat au lait, comme BFMTV ou Ouest-France.

Mis à part cette question d’orthographe et de rigueur, on a aussi, bien entendu, ce suivisme, le fait que cette « info » tellement alléchante, soit reprise, et surtout, sans vérification.

 

Mise à jour 19/06 : Un sondage, à prendre avec les pincettes d’un lobby.

Je n’ai pas été pas le seul, ni le premier à m’arracher les cheveux sur cette histoire de sondage, de chocolat, et de lait. Au fil des réactions ce dimanche, on m’a alerté de l’existence des tweets de Mathias GIREL, maître de conférence du département de philosophie à l’ENS – Normale sup’ & directeur du CAPHES.
La question n’est pas en effet seulement la question de l’anglais, bien entendu, mais aussi et surtout sur la fragilité du sondage repris par le blog qu Washington Post.
Mathias GIREL publiait dès vendredi, un tweet, devenu un thread, déroulé ci-dessous:

[<a href= »//storify.com/gillesbruno/mathias-girel-sondage-wapo » target= »_blank »>View the story « Mathias GIREL sur le sondage mis en valeur par le WaPo » on Storify</a>]

 

Mise à jour du lundi 19/6 10h50 : 

Mea culpa du dimanche 16h33 :quand on donne des leçons aux autres, il faut d’abord bien écrire… j’avais écrit « son niveau d’Anglais », et en français, cela ne prend pas de majuscule…
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