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La Macronie, un Groland version CSP+ ?

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L’autre soir, essayant de cerner l’origine du malaise que j’éprouve chaque fois qu’un représentant d’En Marche! ouvre la bouche pour pérorer sur le Nouveau Monde dans lequel Jupiter veut nous propulser, j’ai eu cette illumination : et si la Macronie était une sorte de Groland version CSP+ ? Un Groland dont les figurants auraient été recrutés exclusivement sur LinkedIn – vous savez, ce réseau social professionnel devenu le réceptacle des éjaculations intellectuelles et autres sophismes basés-sur-des-anecdotes-personnelles de cadres dynamiques en mal d’auditoire.

 

La Macronie, une satire dystopique du libéralisme


Imaginer la Macronie comme un pays imaginaire, qui s’inspire de l’actualité française pour nourrir la sienne, m’offre un tout petit peu de réconfort. Surtout, cette idée m’aide à prendre du recul. Et ouvre des perspectives nouvelles pour l’analyse politique. Si la Macronie est une satire de la société française, il est logique que les figures de proue de cette nation fictive soient des personnages truculents. Ils caricaturent l’époque et ses névroses à gros traits ; voilà pourquoi ils sont si irritants. Dans ce monde parallèle, légèrement dystopique, les raisonnements malades de la pensée libérale sont poussés jusqu’à l’absurde, sans doute pour être mieux dénoncés.

 

À la lumière de cette hypothèse, on comprend mieux le petit gloussement satisfait que Gérard Collomb n’a pas su réprimer alors qu’il décrivait, lors d’une audition parlementaire, les migrants s’adonnant à un « benchmarking » des législations préalablement au choix d’un pays d’asile. Comme au Groland, qui recrute ses comédiens jusque dans les maisons de retraite, faire appel à des acteurs amateurs présente quelques inconvénients. Le jeu manque parfois de naturel, mais l’écriture des répliques sauve souvent la scène. En l’occurrence, l’irruption incongrue d’un mot du marketing dans la bouche d’un ministre de l’intérieur, pour évoquer des personnes qui fuient leur pays par désespoir, au péril de leur vie, est une trouvaille formidable ! En théorie comique, on appelle cela l’effet de contraste. Le déclenchement du rire est quasi mécanique : le spectateur convoque immédiatement l’image mentale désopilante d’un migrant grimé en consultant pédant, commentant une matrice SWOT qui expose les forces et faiblesses de chaque légalisation, avant de passer à la slide suivante, qui figure sous la forme d’une liste à puces les destinations à targeter en top priorité. Irrésistible.

 

Ainsi replacé dans son contexte, le sketch de Gérard Collomb devient une forme subtile, sophistiquée, de dénonciation par l’absurde du sort que l’on réserve aux migrants, et des craintes infondées qu’ils inspirent à certains. On ne peut qu’applaudir le tour de force rhétorique, l’audace des auteurs qui ont confectionné dans l’ombre ces éléments de langage puissants, que les journalistes allaient immanquablement reprendre, indignés, avant d’en saisir, ébahis, la portée cathartique. Il faut être bien mesquin pour reprocher à Gérard Collomb de se régaler du bon mot qu’il lâche face à la caméra, réjoui par avance de la déflagration qu’il s’apprête à causer chez les bien-pensants qu’il roule astucieusement dans la farine.

 

Macron et la troublante obsession du « réel »


Le problème, à vrai dire, est que ce Groland des cadres sup’, que le Président a lui-même fièrement baptisé « Startup Nation » ne s’assume pas vraiment comme une parodie. Au contraire, Macron voudrait nous convaincre que le monde parallèle qu’il préside constitue le monde réel, le premier degré. Et l’on sent bien, dans l’emploi fétichiste du mot « réel », que Macron et ses lieutenants ont encore besoin de se convaincre eux-mêmes.

 

Ainsi Macron, candidat de la « gauche du réel », essaie de disséminer des « capteurs du réel autour de lui » (à la manière dont on envoie une sonde sur Mars ?), selon Philippe Besson, l’écrivain qui a dépeint le Président comme un « personnage de roman ». Une fois élu, Jupiter implora d’ailleurs ses ministres de ne pas « s’affranchir du réel ». Un avertissement reçu 5 sur 5 par l’énigmatique Christophe Castaner — dont les aphorismes cryptiques suggèrent qu’il pourrait bien être la réincarnation de Jean-Claude Van Damme en politique. Le porte-parole LREM déclarait ainsi récemment vouloir s’adresser à la « France du réel », quelques semaines après avoir revendiqué pour le mouvement En Marche! le rôle de « vigie du réel » (une équipe de sémiologues planche encore actuellement sur la formule dans un laboratoire du CNRS pour tenter d’en extraire le sens).

 

Le réel, qui semble être partout à portée de main, est cependant un gibier qui ne se laisse pas facilement attraper. En témoigne la nécessité de mettre au point un protocole pour le chevaucher : « Notre méthode : partir du réel et construire notre projet à partir du retour des Français », expliquait encore l’inépuisable Castaner. Brigitte Macron n’est pas en reste, qui décrit à RTL sa « petite routine pour ne pas se couper un réel », laquelle consiste à marcher une heure chaque jour dans Paris, accompagnée de ses deux conseillers, pour je cite : « rencontrer des passants qui viennent lui parler de leurs problèmes ». Sans doute a-t-elle trop arpenté la place Vendôme, persifleront les mauvaises langues, sans quoi elle aurait pu se faire l’oreille d’autres revendications que celles, sans doute poignantes, des assujettis à l’ISF.

 

L’obsession de la Macronie à vouloir entretenir un lien avec le réel sonne comme l’aveu qu’elle peine à en représenter toutes les facettes. La Macronie, sous le vernis de la méritocratie et des valeurs humanistes de la gauche « du réel » dont elle se revendique, se révèle mois après mois comme l’expression de la volonté décomplexée de la France des classes privilégiées de faire sécession, achevant un mouvement entamé il y a plus de 30 ans (lire à ce sujet l’étude de la Fondation Jean Jaurès). Et la France « en marche » de balancer à la face décrépie de France qui claudique et s’essouffle, que « quand on veut on peut ! », se dédouanant ainsi à bon compte de la solidarité nécessaire avec les plus fragiles, réfutant la responsabilité collective dans les mécanismes de la reproduction sociale, opposant systématiquement une poignée d’anomalies statistiques — des autodidactes qui ont réussi malgré une origine modeste — à ceux qui ont l’outrecuidance de contredire leur catéchisme libéral. Assez naturellement, c’est d’ailleurs sur son rapport au réel que Macron est attaqué par l’opposition, de la gauche (de l’iréel, du fantastique ?), qui se réjouit de voir « la pensée magique du Président se heurter au réel », à la droite extrême qui l’accuse de perpétrer un « coup d’état permanent sur le réel » (d’où les notifications putsch que l’équipe de presse de l’Élysée fait pleuvoir sur nos téléphones, noyant les médias sous les annonces ?).

 

En France, le réel est un truc que certains Français ont un tout petit de mal à supporter, à en croire la consommation record de cannabis. Mais en politique, c’est tout autre chose. En politique, le « réel » est une abstraction absolue, dont chacun revendique être un fin connaisseur. Avant se de ridiculiser en butant sur une question piège telle que le prix du ticket de métro ou de la baguette de pain.

 

Peut-être le réel est-il l’équivalent de l’échelle qu’on s’apprête à retirer, dans l’histoire du peintre à qui l’on demande, bidonné, de s’accrocher au pinceau ? Ainsi Macron doit-il convaincre que son action est pragmatique, c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur le réel, sans quoi il apparaît bien bête, suspendu dans le vide à l’idéologie libérale qui lui sert de pinceau. Un pinceau avec lequel il ambitionne de repeindre la France aux couleurs criardes de la startup nation, laquelle faisait justement l’objet d’un reportage en immersion dans JT du Groland en mars dernier.

 

Ne regrettons pas trop la disparition des Guignols, ils auraient eu bien du mal à caricaturer la Macronie. Le Nouveau Monde, ce n’est pas seulement la fusion de la gauche et de la droite, c’est aussi l’accouplement de la réalité avec la parodie. Méfiez-vous, satire dans tous les sens.

 

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