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Non, Salto n’est en aucun cas le “Netflix français”

Salto

Plusieurs chaînes de télévision françaises (France TV, TF1 et M6) viennent de se mettre d’accord pour lancer un service de vidéo à la demande (SVOD) dénommé Salto. La quasi intégralité des médias d’information de notre pays ont curieusement présenté ce service à venir comme le “Netflix français” qui concurrencera le service américain. Cette présentation n’est pas la meilleure qui soit. En effet, ces trois groupes de télévision n’ont aucune expérience dans le domaine de la SVOD ; or, la SVOD n’est pas de la télévision : pour preuve aucun service de télévision n’arrive pour le moment à briller dans le secteur de la SVOD. Il est en effet difficile d’être “au four et au moulin” pour des chaînes dont l’objectif est d’avoir le plus de spectateurs possible. Dans ces conditions, pourquoi se saborder en proposant à ces derniers de migrer vers une offre délinéarisée ? Parlez-en au groupe Canal et à son service CanalPlay aujourd’hui étouffé par Netflix.

Au surplus, pour concurrencer Netflix ou lui être comparé, encore faut-il proposer un service équivalent ce qui implique une plateforme techniquement et ergonomiquement irréprochable disponible sur téléphones, ordinateurs, tablettes, téléviseurs connectés et Chromecast, consoles de jeux… Tout ceci coûte très cher (encodage des vidéos, stockage sur serveurs, équipes techniques, éditorialisation et animation de la plateforme et des réseaux sociaux…), Netflix est un modèle du genre, bon courage pour les concurrencer sur ce point.

Salto vs Netflix : des millions nécessaires, aussi, dans le marketing

L’entreprise américaine est également un modèle de marketing, autre domaine coûteux. Pour finir, il faut du contenu : Netflix dépensera cette année 8 milliards de dollars uniquement pour ses contenus (vous avez bien lu) et va rapidement se rapprocher des 10 milliards par an d’ici un ou deux ans. A titre de comparaison, nos trois groupes français ont annoncé investir 50 millions d’euros la première année pour faire fonctionner la totalité du service. Dans le même temps, Netflix finance le dernier film de Martin Scorsese à hauteur de 140 millions de dollars. La comparaison est cruelle mais parlante.

Comprenons nous bien, il ne s’agit pas ici de critiquer cette initiative française qui est une bonne chose mais en réalité ce service correspondra davantage à une sorte de replay géant des programmes de ces chaînes qu’à une alternative à Netflix.

Salto et la jungles des droits de diffusion

Au vu du budget annoncé, il va même être difficile d’y arriver car la plupart des programmes diffusés par ces chaînes ne leur appartiennent pas faute pour elles d’en être les productrices. Le droit positif française limite les possibilités de production des chaînes de télévision pour stimuler la production indépendante. En d’autres termes, Salto devra donc acheter les droits de diffusion SVOD à des acteurs indépendants qui vendront logiquement les programmes les plus attractifs aux riches plateformes américaines qui en ont plus que les moyens (v. supra). À titre d’exemple, la série Les petits meurtres d’Agatha Christie diffusée sur France 2 est aujourd’hui disponible sur Netflix tout comme Demain nous appartient, série diffusée sur TF1, est disponible sur Amazon prime vidéo. Netflix et les autres plateformes américaines seront même d’ici peu davantage motivés à acheter des programmes français lorsque la nouvelle directive européenne sur l’audiovisuel sera adoptée et imposera – s’il n’y a pas de changement d’ici là – à tous les services émettant en France (et non plus uniquement aux services émettant depuis la France) de diffuser un minimum de 30% d’œuvres européennes. Salto n’avait pas besoin de cette concurrence dans l’achat de droits de diffusion !

Au-delà de l’achat des droit de diffusion de ces programmes, Netflix finance, comme chacun sait, ses propres programmes et va même aujourd’hui jusqu’à en produire certains. Ces programmes originaux, pour certains de grande qualité, font tout l’intérêt du service car vous ne pouvez les voir que sur Netflix (Amazon prime vidéo, la SVOD du géant du commerce électronique Amazon suit la même logique).

Des millions… mais pas assez de millions?

Salto disposera-t-il de programmes originaux attractifs que l’on trouvera uniquement sur cette plateforme ? Impossible de le faire avec 50 millions d’euros de budget annuel.

[blockquote text= »Si l’on retire de cette enveloppe les nécessaires frais techniques, marketing et d’acquisition de droits, il ne reste même pas de quoi financer un épisode de Game of Thrones. » show_quote_icon= »yes » background_color= »#e91845″ quote_icon_color= »#ffffff » text_color= »#ffffff »]
[image_with_text image= »6773″ title_color= »#000000″]Jérôme Lefilliâtre, 15 juin 2018

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De plus, ce n’est pas la philosophie de ce service pour les raisons évoquées plus haut : impossible pour ces groupes de télévisions françaises de se cannibaliser en rendant leur service de vidéo à la demande concurrent de leurs propres chaînes. C’est précisément ce point qui empêche CanalPlay de concurrencer Netflix. Au final, Salto sera certainement un service intéressant dont la création très tardive reste à saluer mais de grâce arrêtons de comparer cette offre au géant américain du genre. Pour qu’un acteur français puisse concurrencer Netflix aujourd’hui, il aurait fallu se lancer sérieusement…il y a dix ans au moins. Aucun groupe français n’a pensé ou souhaité le faire sérieusement à l’époque : dommage, une grande partie de l’avenir de la consommation audiovisuelle passera par la SVOD.

Marc Le Roy
Spécialiste de droit du cinéma et de l’audiovisuel, auteur de Télévision, cinéma et vidéo à l’ère du numérique.
www.droitducinema.fr

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