Tribune de Francis Gaunand, pdg et directeur de publication du groupe Publihebdos, éditeur d’actu.fr.
Il y a bien une directive européenne, et sa transposition dans la loi française. Mais Google a décidé qu’il ne paierait pas. Circulez, il n’y a rien à percevoir !
De quoi parle-t-on ? De la rémunération que devrait toucher la presse pour les contenus qu’elle produit et qui sont diffusés (avec beaucoup de publicité associée) par les grandes plateformes comme Google ou Facebook.
Ces plateformes emploient zéro journaliste mais elles siphonnent sans partage les trois-quarts du marché publicitaire grâce au travail des autres, mettant en péril les médias indépendants qui, s’ils venaient à disparaître, laisseraient seuls les réseaux sociaux et leur lot de fausses informations prospérer. Un cauchemar pour notre démocratie !
Droit voisin : « Ce travail, ça ne vaut pas rien », a tempêté Emmanuel Macron
«On s’est battu pour les droits d’auteur et les droits voisins, c’est-à-dire pour que ceux qui écrivent, réalisent un travail d’enquête et de vérification ainsi que ceux qui les éditent puissent être justement rémunérés. Ce travail, ça ne vaut pas rien », a tempêté Emmanuel Macron, le 4 octobre 2019 à Clermont-Ferrand, le chef de l’Etat en se montrant très critique à l’égard de Google.
Au fond, le problème qui se pose est de taille : une entreprise – une très grande entreprise – peut-elle s’affranchir de la loi parce qu’elle ne lui convient pas ?
La puissance des géants américains de l’internet a de quoi inquiéter au-delà des droits d’auteurs, sur des questions aussi fondamentales que la sécurité ou la protection de la vie privée. Car ce qui se dessine aujourd’hui avec les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) est loin, très loin, des idéaux de liberté dont nous rêvions avec Internet. Ces plateformes ne servent que des intérêts et des objectifs privés dont nous avons appris à nous méfier.
La position de Google dans cette affaire de droits d’auteur est symptomatique. C’est aux décideurs publics de ne pas laisser faire, en engageant les actions d’une nécessaire régulation.
Francis Gaunand
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Un appel à l’union des médias français
Grand reporter à l’Agence France Presse (AFP), Sammy Ketz ne renonce pas au combat. Depuis plusieurs mois, ce journaliste s’est lancé dans une croisade de taille : contraindre Google à rémunérer les médias dont il publie les contenus.
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Cette tribune, initiée par Sammy Ketz, a été cosignée par de nombreux médias – dont le groupe Publihebdos.
Le texte intégral de la tribune
Ç’aurait pu être un grand jour dans l’histoire de l’Europe et de l’internet. Avec l’entrée en vigueur en France de la directive européenne sur les droits voisins, la presse devait, pour la première fois sur notre continent, commencer à percevoir une rémunération sur les contenus qu’elle produit et qui sont diffusés sur Google, Facebook et autres plateformes.
Journalistes de l’Union Européenne (UE), nous nous sommes longtemps battus pour ce texte. Parce que l’information de qualité coûte cher à produire. Parce que la situation actuelle, qui voit Google capter l’essentiel des recettes publicitaires générées par les informations que le moteur ratisse, est intenable. Et plonge chaque année la presse dans une crise plus profonde
Le parlement européen a voté la directive au printemps, le parlement français l’a transposée en droit français à la quasi-unanimité cet été. Les autres parlements de l’UE doivent suivre. Et pourtant ce texte tant attendu risque d’être vidé de toute portée avant même sa mise en œuvre. Refusant toute négociation, Google a offert aux medias un cynique choix de dupes :
- Soit ils signent un blanc-seing à Google en renonçant à rémunération, et le modèle actuel à base de gratuité perdure. C’est la mort lente, qui a commencé de vider les salles de rédaction en Europe comme aux Etats-Unis.
- Soit ils refusent, continuant d’espérer une rémunération. Et on leur promet de redoutables représailles : la visibilité de leurs contenus sera réduite à sa plus simple expression. Plus de photo, plus de textes, un bout de titre, rien de plus, apparaîtra quand les internautes feront des recherches sur une information.
Un suicide pour la presse. Car avant d’arriver sur un site de media, la porte d’entrée des internautes c’est Google. Les autres moteurs de recherche pèsent trop peu. Les éditeurs le savent : ils n’ont pas les moyens financiers de supporter la chute vertigineuse de trafic sur leurs sites que cette mesure entraînera.
Google bafoue la loi. Il en exploite les subtilités en détournant son esprit. Comme le géant américain a si bien su le faire avec les montages fiscaux qui lui ont permis de faire de l’évasion fiscale à échelle planétaire.
C’est un nouveau bras d’honneur à la souveraineté nationale et européenne. Google veut faire la démonstration d’une impuissance publique à réguler les plateformes, faire plier les médias et les forcer à accepter un modèle économique assis sur la non-rémunération par principe des contenus.
En mettant en avant, magnanime, le financement qu’il a bien voulu donner pour des projets innovants dans le domaine des médias : une diversion, une aumône pour un groupe qui pèse 140 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Alors que les campagnes de désinformation envahissent internet et les réseaux sociaux, que le journalisme indépendant est attaqué dans plusieurs pays de l’Union, renoncer serait catastrophique.
Nous appelons à une contre-attaque des décideurs publics. Ils doivent muscler les textes pour que Google ne puisse plus les détourner, utiliser tout l’arsenal des mesures qui permettent de lutter contre l’abus de position dominante.
De notre côté, journalistes, reporters d’images, photographes, artistes, nous en appelons à l’opinion publique et mènerons ce combat car ce qui est en cause, c’est la survie de médias indépendants et pluralistes, et in fine la vitalité de notre démocratie.
Texte publié à l’origine sur Actu.fr