C’était au mois de mai – deux ans après l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République – et cela se voulait être une alerte quant à une dégradation sensible de l’un des fondements de notre démocratie, la liberté de l’information. Et depuis ? Force est de constater qu’un vent « de plus en plus mauvais » souffle sur l’information en France. Soit cette actualisation d’une publication dont le caractère prémonitoire ne fait que se confirmer, session parlementaire après session parlementaire et surtout mobilisation sociale après mobilisation, à propos desquelles il faut réaffirmer inlassablement « qu’informer n’est pas un délit ».
À bien y regarder, les choses ne commençaient pas très bien entre Emmanuel Macron et l’indépendance des journalistes. Durant toute la campagne Présidentielle, il n’aura de cesse de multiplier critiques et leçons à l’égard de ces derniers. Une fois élu, la surprise devait venir de l’annonce par son parti de la création de son propre média (cf. Le Monde du 3 août 2017). Puis ce sera l’annonce d’une nouvelle loi sur les « fake news », … puis viendra le temps de la multiplication des perquisitions, mises en garde à vue, convocation de journalistes par la DGSI, violences à l’égard des personnes et des moyens de travail, à l’encontre de journalistes ou de rédactions. Comme si en matière d’information, la politique de l’exécutif entendait désormais combiner intimidation et encadrement du travail de ceux à qui il revient en démocratie de servir l’intérêt général.
Intimidation et négation des violences policières :
Comment ne pas voir l’expression d’une volonté d’intimidation dans la multiplication des actions policières ou judiciaires à l’encontre des journalistes et des médias d’information, avec une insistance marquée à l’égard de l’investigation : en février dernier Médiapart faisait ainsi l’objet d’une perquisition, puis ce fut cette pluie de convocations devant la DGSI de journalistes de France Inter, de Disclose, de Quotidien, et du Monde.
Surtout la dérive la plus spectaculaire concerne les violences policières contre ceux qui entendent témoigner que ce soit des manifestations de Gilets jaunes, sur la réforme des retraites, mais aussi des mobilisations plus spécifiques (comme devant les locaux d’Amazon à Clichy en juillet). Ces journalistes, les reporters subissent quant à eux les matraques, tirs de différentes munitions, sans parler des confiscations et bris de matériel, quand ce n’est pas le blocage pour les empêcher d’accéder à l’événement lui-même. Les gardes à vue se multiplient, avec ce point d’orgue – une sorte de symbole – qu’est celles d’étudiants en journalisme de l’académie de l’ESJ à Lille, le 12 décembre dernier. Jamais le ministre de tutelle et encore moins la Place Beauvau ne trouvent à y redire, au contraire puisqu’il est presque devenu délictueux de parler, d’écrire « violences policières ». Rappelons que David Dufresne ne décompte pas moins de 117 signalements de violences (soit 12 supplémentaires depuis le mois de mai), dont 19 à la tête, à l’encontre de journalistes et photoreporters (alloplacebeauvau.mediapart.fr/presse).
Voire plus…
Voire plus, puisque Gaspard Glanz, par exemple, comparaîtra devant un tribunal, avec cette vieille ruse policière de « l’outrage ». Voire plus puisque la DGSI entreprend de distinguer entre « vrais » et « faux » journalistes, à propos du collectif d’investigation de Disclose, ne garantissant plus la protection du texte sur le secret des sources pour ces derniers. Sauf que la paresse ou la mauvaise volonté de la précédente législature laisse derrière elle un texte sur le secret des sources, dans lequel les exceptions à la protection peuvent donner cours à toutes les interprétations possibles pour d’éventuelles poursuites.
Comment un pays qui prétend apporter sa contribution à la question de la protection des lanceurs d’alertes peut-il laisser sa police faire le tri entre journalistes. Sur quelle base ? Celle de la carte de presse et de la loi sur le statut des journalistes de 1935, qui ne fixe aucun standard de formation, aucune règle ayant trait à la déontologie, qui voulait que la profession reste ouverte ? Avec comme essentiel critère l’emploi par une entreprise de média, alors que les zones grises de la profession (cf. Baromètre social des Assises internationale du journalisme 2018) ne cessent de s’étendre (au minimum un tiers au regard de l’effectif des détenteurs de ladite carte), à coups d’emplois précaires rémunérés sous des formes diverses (autoentrepreneuriat, droit d’auteur, intermittents du spectacle, etc.) ne donnant pas droit à ladite carte de presse.
Encadrement
Outre l’intimidation, le pouvoir fait montre de toujours plus d’insistance dans le registre de l’encadrement du travail des journalistes. Ce fut d’abord la loi sur les fake news ou infox qui fit semblant d’ignorer les textes existants sur les fausses nouvelles et qui charge le juge d’évaluer – avec quels moyens ? – si des faits sont avérés… certes en périodes électorales, en visant prétend-on les plateformes, sauf que personne n’empêchera de poursuivre un média sur la base de ce texte. La même logique préside avec le texte « lutte contre la haine en ligne » qui prétend s’appliquer à la régulation des « plateformes » mais qui pourra tout aussi bien être opposé aux sites d’information, voire aux médias en général. Un texte dans lequel l’invocation de la notion de « manifestement » illicite pourrait trouver des acceptions extensives, selon les contextes sociaux, politiques. Un texte qui constitue une forme d’appel d’air à toutes sortes d’initiatives liberticides à l’image de cette proposition d’amendement du sénateur Jean-Pierre Grand visant à interdire les photos et vidéos de policiers en action. Certes rejeté mais en attendant quelle nouvelle initiative de s’en prendre à la loi de 1881, lors de la discussion de ce projet ou d’un autre un peu plus tard.
Plus extravagante fut encore cette incursion du gouvernement dans le domaine de la « déontologie des journalistes ». Le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, n’hésitera pas à ressusciter cette bonne vieille idée, chère au régime de Vichy, d’un « conseil de l’ordre des journalistes ». Puis ce sera l’irruption du même gouvernement sur le terrain d’une instance qui pourrait intervenir dans le domaine de la déontologie. Telle fut la mission confiée par le ministre de la culture à Emmanuel Hoog, fournissant l’occasion à Jean-Luc Mélenchon de se réjouir, de voir poindre la perspective d’un « tribunal professionnel de la presse ». Comment ne pas faire peser une suspicion sur l’initiative de la profession – le Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation ou CDJM – sur lequel va peser désormais, ce vieux fantasme tant de fois répété par diverses commissions, à commencer par la « Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau », de voir chapeauter l’information par une instance de sanction. Le même Jean-Luc Mélenchon saluant la création du CDJM, le 2 décembre, par la manifestation de son souhait que ce conseil obtienne « un pouvoir de sanction symbolique réel et reconnu », ce qui appellerait selon lui l’intervention du législateur ?
Et puis se surajoutent tous ces textes aux objets divers (lutte contre le terrorisme, droits et obligation des fonctionnaires, empilement des secrets, à commencer par celui des affaires, etc.) de la législature actuelle ou des précédentes, qui convergent à un moment ou un autre pour resserrer la marge de manœuvre du journaliste qui enquête ou qui rapporte, comme le souligne à maintes reprises le spécialiste du droit de la presse Emmanuel Derieux (cf. Droit des médias, LGDJ). Sujet qui fera l’objet d’un atelier des prochaines Assises du journalisme le 3 avril à Tours [cf. Le programme des Assises]
Ligne jaune
Mois après mois, poursuite après poursuite, déclarations après déclarations, dérapages dans la rue après dérapages, une ligne jaune a été franchie qui fait entrer l’information et les professionnels qui la produisent dans une zone de profonde insécurité. Le pouvoir et une partie des politiques, pensent que le moment est favorable à une remise au pas des journalistes d’enquêtes et reporters. Ils jouent sur la défiance à l’égard des médias, comme le rappelle chaque année le Baromètre de La Croix [Baromètre Kantar – La Croix, janvier 2019] comme le soulignent aussi paradoxalement les violences à l’égard des journalistes de la part des mouvements sociaux, à l’image des Gilets jaunes. Un sursaut semble aussi se faire jour, chez les journalistes, face aux poursuites et aux violences. Il est souvent éphémère se limitant à quelques communiqués syndicaux. Une réflexion est urgente qui dessine des réponses adaptées à la défense, non simplement d’une profession, mais bien d’un pilier essentiel de la démocratie, qui ne saurait exister sans contre-pouvoir. Le mandat vaut pour RSF bien sûr. Il y a surtout urgence pour des initiatives unitaires des syndicats et organisations professionnelles de la presse et au-delà les citoyens, des organisations de défense des libertés, conscients de l’ampleur de l’enjeu.
Jean-Marie Charon