Surtout des journalistes mais aussi des membres des membres des équipes support : Condé Nast France s’apprête à vivre un PSE massif avec une perte de plus du quart de sa masse salariale. L’Observatoire des Médias a pu consulter l’extrait de procès verbal de la réunion du CSE en date du du 5 juillet 2021 des publications Condé Nast France, qui exploitent dans l’hexagone des marques prestigieuses comme VOGUE, GQ, Vanity Fair ou A.D.
Ce qui se trame, c’est aussi une stratégie qui s’inspire quelque peu de ce qui se passe chez l’ogre Reworld Media et ses « producteurs de contenus ». Chez Condé Nast, le poste magique s’appelle « éditeur/traducteur » : comprendre le groupe est international, les contenus vont être globalisés, sectorisés, puis traduits.
Rappelons qu’au début de l’année dernière, on apprenait que l’éditeur Conde Nast allait fermer le magazine féminin Glamour en France.
L’annonce du PSE a créé la surprise générale au sein du groupe.
Le document du CSE est très clair :
« Ce projet de réorganisation prévoit la suppression de 67 postes, dont 15 postes vacants, la modification d’un poste et la création de 27 postes ainsi que la suppression de 7 postes de pigistes réguliers polyvalents. En définitive, le projet pourrait entraîner le licenciement pour motif économique de 52 salariés et de 7 pigistes réguliers polyvalents, soit au total 60 personnes si le salarié se voyant proposer une modification de son contrat de travail devait la refuser. Un impact sur l’emploi majeur représentant plus de 25 % de l’effectif. »
On parle bien d’un quart de l’effectif. Réaction à chaud d’un salarié recueillie par L’Observatoire des Médias : « On parle d’Europe 1, mais Condé Nast c’est pas mal non plus ».
La stratégie est mondiale. Et la filiale française n’échappe pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, aux coupes :
« La direction a soumis à consultation du CSE un projet de réorganisation de Condé Nast France qui prévoit de mettre en œuvre la stratégie du groupe Condé Nast décidée au niveau mondial et conçue par le Boston Consulting Group à New York, qui s’applique à l’ensemble des sociétés du groupe Condé Nast, dont Condé Nast France.»
Les arguments avancés par la direction de Condé Nast pour justifier les licenciements économiques ne surprennent pas : « sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise », « difficultés économiques ». Le CSE cite aussi les chiffres avancés par la direction de Condé Nast France :
« En 5 ans, la Société a perdu 5,5M € de revenus de diffusions, auxquels s’ajoutent 29 M€ de revenus publicitaires (-35 % par rapport à 2019) ce qui représente un manque à gagner de 35 M€, soit une baisse de 53 % sur la période 2016-2020 ».
Ce n’est pas tout. Le CSE met en valeur d’autres arguments invoqués par le groupe :
« les activités digitales permettent de générer des revenus complémentaires, mais qui restent insuffisants pour constituer un axe de croissance. ».
Mais le CSE prend aussi, dans son compte-rendu, en dérision les explications de Condé Nast qui a l’air de découvrir l’eau chaude de la transformation numérique de la presse et du changement des habitudes de consommation de celle-ci :
«L’avenir de la Presse Magazine dépend du développement de marques média comprenant, en plus des activités print traditionnelles, du digital, de la vidéo, de l’audio et du serviciel entraînant des possibilités de diversifications multiples.” (sic)»
Le « sic » émanant du document du CSE.
Nous sommes donc devant un groupe de presse qui découvrirait, selon lui, la multitude de choses à mettre en place pour sortir son épingle du jeu.
Mais le CSE ne l’entend pas de cette oreille, et fait allusion à la stratégie du groupe Le Monde, on en a l’impression, pour contredire la direction du groupe :
«Toutefois, la réalité de ce motif économique nous semble devoir être relativisée. Il convient à ce titre de rappeler que Condé Nast a tardé à prendre le virage digital et à adapter son modèle économique aux évolutions de marché, pourtant prévisibles, puisque d’autres acteurs, de la presse d’information quotidienne notamment, ont déjà opéré ce virage depuis presque 10 ans et sont désormais redevenus profitables.»
Et le CSE d’avancer des arguments chiffrés :
« Condé Nast France a fait le choix de remonter la quasi-totalité de ses dividendes, soit 31 M€, sur la période 2011-2017. Ces remontées massives de dividendes auraient pu servir à développer une technologie permettant au groupe et à Condé Nast France de capter les revenus publicitaires sur ses supports digitaux, et de développer les abonnements payants sur internet.Il n’en est rien, car la technologie actuelle de nos sites internet ne nous permet pas de capter les revenus publicitaires liés à nos contenus vidéo, ni de mettre en place des abonnements payants, composante majeure du modèle économique projeté.Plus curieusement, le business plan à 2024 n’inclut pas les revenus qui seraient liés aux investissements et à la mise en place de la réorganisation projetée. »
Sans surprise, le CSE rejette en bloc le plan prévu par la direction :
« L’entreprise et le groupe transfèrent ainsi, par ce projet de réorganisation, le coût et la responsabilité des investissements nécessaires pour assurer son avenir sur les salariés, en supprimant leurs postes, ce qui est parfaitement inentendable.
Ces investissements tardifs ont également eu pour conséquence l’arrêt de la publication de Glamour en 2020 et la suppression de 31 postes, évidemment sans aucun effet sur le modèle économique. L’arrêt de Glamour n’était donc pas la réponse à apporter.
Si le groupe avait réalisé les investissements nécessaires il y a quelques années pour adapter son modèle économique à la réalité du marché, nous serions peut-être en train d’embaucher plutôt que de “rationaliser la structure de coûts”.
Au final, même si nous estimons que le motif économique, à savoir la sauvegarde de la compétitivité et les difficultés financières, semble refléter la situation de l’entreprise, il doit être relativisé du fait d’un engagement nécessaire mais tardif sur le Digital alors que l’entreprise et le groupe en avaient les moyens.
En conclusion, pour l’ensemble des raisons qui viennent d’être rappelées, les élus rendent, en toute conscience, un avis défavorable sur le volet économique et financier du projet. »
Le projet initialement proposé par la direction a été largement amendé, sur plusieurs points : sur les mesures d’accompagnement du PSE, et une amélioration des indemnités supra légales/conventionnelles proposées.
Mais malgré cela, et c’est bien normal, le projet de la direction est rejeté, puisqu’il ne s’agit pas d’un plan de départs volontaires, mais bien d’un plan social :
« Reste qu’en dépit de ces nombreuses avancées, le CSE ne peut que déplorer que certaines de ses dernières demandes, fondamentales et nécessaires, constituant autant d’inévitables pierres d’achoppement à la reconnaissance d’un PSE dimensionné et à la hauteur des enjeux et impacts sociaux, n’aient pas été entendues, portant notamment sur :
● l’absence d’instauration d’un dispositif de volontariat, permettant de limiter le nombre de départs contraints ;
● des indemnités d’incitation au reclassement rapide inférieures à celles qui auraient été perçues dans le cadre du PSE Glamour ;
● des indemnités supra légales qui restent, dans certains cas, en deçà de celles perçues dans le cadre du PSE Glamour, et qui restent de toutes les façons plafonnées à seulement 18 mois. »
Est-ce que la branche française de Condé Nast pense vraiment que les lecteurs vont avaler un flot de contenus adaptés de l’international?
La semaine prochaine, L’Observatoire des Médias vous racontera comment, en interne, on parle de réelle « incurie en terme de transition numérique ».
Créateur et rédacteur en chef de L'Observatoire des Médias. Journaliste, consultant. Conseil strat. digitale. Intervenant : ESJ-CFPJ-IPJ-CELSA. Ex Libé, LePost.fr.