Le diagnostic est posé dès 2016 : selon Christine Leteinturier les carrières de journalistes raccourcissent, pour se situer à une quinzaine d’années, en moyenne[1]. C’est dire que nombre de journalistes quittent la profession dès 30 – 35 ans, comme cela apparaissait dans « Qui sont les journalistes qui quittent la profession ? ». Il aura suffi d’un échange sur Twitter pour que soit lancée une enquête qui réunit une cinquantaine de volontaires, qui ont bien voulu revenir sur leur parcours et les circonstances de leur réorientation vers d’autres professions (cf. « Où vont les journalistes qui quittent la profession ? »). Pourquoi quittent-ils la profession constitue le cœur de cette recherche et est précisément l’objet du présent article. Ce sera donc le troisième volet de la restitution des résultats d’une démarche qui s’est voulu, dès le départ, collaborative[2], associant à chaque étape ceux qui ont été volontaires pour nous entretenir de leur vécu du journalisme, de leurs interrogations et des choix qui se sont imposés à eux.
51 histoires singulières, 51 parcours, 51 caractères, 51 personnalités, 51 contextes, et il n’y a pas un motif qui expliquerait le choix ou l’obligation de quitter le journalisme. C’est un ensemble de facteurs qui interviennent au niveau de chaque individu et du collectif. Il n’empêche que deux thématiques dominent largement, celle du désenchantement et celle de l’usure.
Désenchantement :
L’idée d’un désenchantement émane d’une très large majorité des entretiens. Elle est d’autant plus notable de la part de personnes qui parlent toujours de « profession passion », de personnes qui ont souvent accédé à celle-ci, par l’une des formations reconnues, aussi difficiles soient-elles à l’entrée. Ce désenchantement il est d’abord vécu pour la plupart, comme une « perte de sens » du journalisme au quotidien au regard de ce qui avait motivé le choix cette profession : « j’avais perdu tout sens de mon travail ».
Plus précisément la perte de sens s’exprime dans le constat du décalage ou de la contradiction entre le métier qui avait motivé au départ, son rôle social, ses exigences intellectuelles et la manière dont il se pratique : « J’aime toujours le journalisme, mais pas tel qu’il est exercé par la plupart de la presse aujourd’hui ». D’où une « certaine perte de motivation pour ce que je fais ». Certains parlent alors du métier rêvé et de cette « impossibilité à pratiquer le métier rêvé ». D’autres ont été surtout choqués de la perte de son rôle auprès du public, de la société, constatant avoir « perdu le sens de l’utilité du métier », voire de sa perte de substance : « je ne voulais pas retourner dans un journalisme que je qualifierai de superficiel ». Et le besoin de sens est si fort et devenu si inaccessible dans le journalisme, que pour l’un d’eux il s’est agi de « se reconvertir pour retrouver du sens ».
Le désenchantement, lorsqu’il prend la forme d’une déception profonde, peut virer à la « révolte » face à l’extrême décalage entre l’idée du métier et son vécu : « le métier me dégoûte aujourd’hui. Je n’en pouvais plus des conditions dans lesquelles je l’exerçais ». « J’exècre le côté bling bling de la profession ». « J’étais dégoûté… du milieu journalistique en général ». Pour quelques-unes, le choc s’est opéré au niveau des valeurs, en se heurtant à des conflits d’éthique ou de déontologie professionnelle : « Je n’adhérais pas déontologiquement au traitement que j’ai dû faire de certains faits ». « J’ai perçu des failles dans l’éthique journalistique des rédactions en chef et des directions ». Comment faut-il interpréter que révoltes et conflits éthiques, soient évoqués par des femmes ? Hasard de panel ou marque de ce handicap d’être femme et journaliste ?
À bout de souffle :
Aussi, voire plus nombreux, sont les anciens journalistes qui disent avoir ressenti « l’épuisement » ou « l’usure », liés aux formes que prenait leur activité, d’autant plus lorsque celles-ci se prolongeaient dans la durée. « J’étais épuisée physiquement et intellectuellement » se rappelle l’une d’elles. « Je suis usée » se plaint une autre, alors qu’une autre encore, se rappelle « La fatigue physique, avec les horaires décalés… les insomnies… ». Ce sentiment d’être arrivé en quelque sorte à bout de souffle, conduit un nombre plus que conséquent à une rupture, une brisure, celle de la maladie, que celle-ci soit physique ou plus souvent psychique.
Ce sont en effet près d’un quart des personnes interviewées qui à propos de leur parcours évoquent des « dépressions », des « burn out », parfois jusqu’à des pulsions suicidaires, à un moment ou l’autre de leur carrière de journaliste, que ce soit ou non, directement, la cause de leur décision de se réorienter. Nombreux sont ceux qui signalent des arrêts de travail, qui se comptent en mois, parfois des années. Nombreux, sont ceux aussi qui ont dû ou qui continuent à devoir « se faire accompagner psychologiquement ». Dans les causes ou contextes de ces « burn out » se trouvent ainsi évoquées une intensité ou une durée du travail intenable pour ces personnes, des questions relationnelles, notamment avec les hiérarchies, le poids de l’insécurité pour ceux qui vivent la précarité, etc. : « Je ne me rends pas compte que je suis en burn out » dit l’une. « Tout cela contribue à dégrader la santé mentale et l’équilibre psychologique d’un individu », constate un autre.
Comme un contrepoint à ce sentiment d’être à bout de souffle, plusieurs anciens journalistes, décrivent leur nouvelle activité comme un retour à une vie qui peut à nouveau s’épanouir, une forme de retour à la normale, soit « un meilleur équilibre entre un travail qui a du sens pour moi et un mode de vie qui me convient », pour l’un, la possibilité « de faire des horaires raisonnables… en tant que jeune père », pour un autre.
Comprendre l’importance prise par ce phénomène conduit en effet à observer plusieurs facteurs sur lesquels ont buté, souvent trop longtemps, jusqu’à être « cassés », ces individus, qu’il s’agisse des conditions de travail, de la précarité, des niveaux de rémunération, du fait d’être une femme.
Conditions de travail :
Le paysage des rédactions et des conditions de travail est souvent décrit dans des termes extrêmement sombres : « charge de travail énorme », « horaires contre-nature », « violence du milieu », « du monde l’entreprise », « insécurité », etc. Surtout ce sont les évolutions et transformations de celui-ci qui sont critiquées et surtout redoutées. « J’en avais assez de l’injonction de devoir faire toujours plus, mieux, avec moins de moyens », pourrait résumer cette hantise. On a là quelque chose comme la face sombre de la mutation en cours des médias et singulièrement des rédactions. Se retrouve ici d’ailleurs les constats et les termes qu’évoquait largement l’étude Technologia de 2019, pour le SNJ : « Changements et évolutions dans les métiers du journalisme ».
Il est ainsi question de : « journalisme Shiva », de « pression », de Web 3X8 (« pas d’échappatoire »), « d’horaires épuisants (« décalés », « trop longs », « contre nature »), de « charges de travail énormes », de diminution d’effectifs, « d’ambiance de travail exécrables », de « baisse de tarif des piges », « d’ouvriers de l’info » et désintérêt pour la qualité des contenus, de « manque de considération de la part des hiérarchies », d’arrêts de titres et de médias, de « déclin de la presse écrite », de « marché du travail saturé », mais aussi de « violence dans les rapports de travail », ainsi que d’insécurité sur le terrain (banlieues, Gilets jaunes).
Parmi les sujets récurrents reviennent les considérations relatives aux salaires, baisses de piges, pertes de revenus, soit qu’il ait été question d’avoir dû « prendre un poste mal payé, assez au-dessous de mes compétences », soit que « dans ces conditions je dépassais à peine le seuil de pauvreté », soit que « la pige en termes de salaire (ne soit) pas un modèle viable à long terme ».
S’il est clair que partout l’impact du numérique sur l’activité des rédactions, comme des modèles économiques, est en arrière-plan de très nombreux propos, il est assez déconcertant de retrouver parmi les partants, des journalistes qui furent un temps des ambassadeurs et des symboles de l’innovation rédactionnelle sur le web.
Précaires :
Succession des CDD, enchaînement CDD-piges, voire CDDU, régime de la pige dans la durée, rarement choisi, « pression constante à se déclarer auto entrepreneur », passage par des périodes de chômages, d’activités hors journalisme, voire de bénévolat, la précarité au long cours a des effets délétères : « l’angoisse », « ma lassitude, ma tristesse et ma colère » et bien sûr l’épuisement – l’usure évoqués plus haut. Celles-ci vont d’autant plus s’imposer « que je n’étais pas préparé à la pige » dira l’un d’eux et qu’il génère la « frustration face aux inégalités de traitement, injustices, vis-à-vis des CDI » constate un autre, quand il ne produit pas un sentiment de discrimination, un pigiste évoquant alors « les petites humiliations, la condescendance et les a priori récurrents… » de la part « des hiérarchies », ceux-ci pouvant venir aussi des confrères : « J’ai souffert du snobisme envers les localiers et les pigistes… considérés comme des journalistes qui ont moins bien réussi » . Sans parler de l’inconfort de « devoir souvent rappeler (ses) droits et notamment la loi Cressard[3] »
La sortie de la profession devient alors inéluctable : « Je n’ai (plus) eu envie de continuer sur des années d’incertitude et de piges, à des horaires pas possibles ». Elle s’impose, pour certains, pour cause de maladie, quand ce n’est pas faute de ressources : « Je ne gagnais plus que 500 à 700 € par mois », avec même un tarissement complet de celles-ci avec le confinement « Pendant un mois c’est le black-out ».
Le handicap d’être une femme :
Les femmes sont nettement les plus nombreuses à quitter prématurément la profession, comme cela apparaissait dans « Qui sont les journalistes qui quittent la profession ? ». Au-delà de cette surreprésentation, les anciennes journalistes sont nettement plus nombreuses à exprimer leur déception voire leur révolte face à ce qu’est le vécu de leur ancienne profession, à évoquer des conflits éthiques. Elles rencontrent plus massivement la maladie physique et surtout psychique. Elles ont connu davantage des problèmes de revenus et elles ont enfin été plus durement affectées par le Covid et le confinement.
Mais aux yeux de nombre d’anciennes journalistes, elles ont surtout ressenti un véritable handicap, lié au fait d’être femme. Ce handicap s’exprime dans des parcours qui se bloquent ou sont ralentis en raison du genre : « J’ai l’impression qu’il y a un plafond de verre, que je n’arriverai jamais à percer ». De là à ressentir une forme de discrimination, qui s’exprime de la part des hiérarchies : « un rédacteur en chef odieux avec certaines femmes », par exemple, ou encore de « ceux qui vous rabaissent parce que vous êtes une femme ». Certaines évoquent à ce propos des cas de harcèlement : « de deux chefs indéboulonnables » pour l’une, de rédacteur en chef « qui terrorise les plus jeunes (femmes) ». Un harcèlement qui est plus souvent moral, pouvant prendre la forme de « campagne de dénigrement… de la part de la direction ».
Le handicap peut aussi être, en quelque sorte « structurel », en tout cas refléter crûment les rapports de genres. C’est ce qu’évoquent nombre de femmes, à propos de la difficulté d’être en même temps « maman » et journaliste : horaires de travail irréguliers, changements d’horaires chaque mois, travail le week-end… « Pour la jeune maman que je suis, cette situation n’est pas tenable ». Quand celles-ci ne se voient pas « reprocher mes deux congés maternités – pas de promotion salariale, pendant 9 ans… ». Ils prennent également la forme de ces obligations de suivre son compagnon ou conjoint : j’ai « quitté mon poste à Paris pour rejoindre mon mari à Bordeaux », au risque de ne retrouver que la pige. Lorsqu’il n’est pas possible de sortir de la précarité, « parce que ma vie familiale est au Havre ».
Covid :
Hommes et femmes, plus souvent des femmes, un petit groupe a en commun de lier directement sa décision de quitter le métier, au premier confinement. Deux processus sont évoqués qui chez certains peuvent se combiner. Le premier est la perte de toute activité, voire de revenus, pour certains précaires. Le « black-out », déjà évoqué plus haut. Il est même question de la disparition de l’emploi d’une journaliste : « Mon poste est purement et simplement supprimé au lendemain du coronavirus ». Le second processus est intellectuel ou psychologique et trouve son origine, dans l’arrêt de l’activisme et de la pression, soit l’opportunité de faire le point et s’interroger sur un vécu professionnel, qui ne convient plus. Chez tous ceux qui expliquent leur décision du printemps, le confinement aura plutôt été la goutte d’eau ou le révélateur, qu’il fallait bouger : « Avec le Covid j’accuse une baisse de revenus qui a fait accélérer ma réflexion » ou encore « Quand le coronavirus est arrivé, cela faisait plusieurs mois que je disais vouloir arrêter »
Soif de faire :
Ils ne sont que quelques-uns. Leur explication du départ du journalisme tranche avec la tonalité générale. Leur motivation de quitter le journalisme s’exprime en termes positifs. Certains disent même avoir été privilégiés dans l’exercice de celle-ci. S’ils ont quitté le journalisme, c’est animé par une soif de faire. La posture de l’observateur, du témoin, de l’analyste… ne leur convenait plus : l’un voulait « travailler dans une vraie entreprise », une autre dit avoir été attirée par « le faire », en l’occurrence dans l’univers de la culture, une troisième a créé sa propre structure de consulting… Dans leur cas il s’agissait d’un projet finalement concrétisé. Il est intéressant de noter, que plusieurs de leurs anciens confrères, qui exercent désormais dans l’enseignement, le marketing, voire la communication, disent également leur satisfaction d’être devenus acteurs, une fois cette reconversion opérée.
Conclusion :
Les trois articles publiés sur le site observatoiredesmedias.com sont une première restitution des résultats d’une enquête conduite en cet automne 2020. Il s’agit d’un diagnostic sur une question sensible, à un moment donné. Ce diagnostic est le fruit d’une démarche qualitative qui permet d’approfondir, écouter le vécu et le ressenti des uns et des autres, mais qui ne permet pas d’avoir une représentation statistique des observations et tendance identifiées. Cet élargissement est possible de la part de spécialistes de cette approche. Ce diagnostic franco-français appelle aussi des comparaisons internationales. Il suggère enfin d’approfondir certaines questions, telle que les dimensions de maladie, du handicap vécu par les femmes, sans parler de l’intérêt de susciter les regards et analyses des partenaires sociaux, comme de spécialistes de ressources humaines ou encore de professions de santé.
Jean-Marie Charon (EHESS) – Adénora Pigeolat (Université Le Havre -Normandie)
[1] « Continuité/discontinuité des carrières de journalisme », Recherche en communication n°43 – 24/10/2016.
[2] Pour la méthodologie, se reporter à l’encart de présentation de celle-ci dans « Qui sont les journalistes qui quittent la profession ? » observatoiredesmedias.com 22/11/2020.
[3] De 1974, définissant le statut de pigiste.
C’est une étude passionnante. Elle mériterait d’être poursuivie et élargie pour approfondir les premières conclusions.
Oui, c’est passionnant ! J’aimerais bien savoir comment cela se passe dans les pays voisins. Une remarque : j’ai plus souvent vu des ressources « inhumaines » qu’humaines dans ce secteur d’activité qui pêche par un management sans âme.
Je viens de lire rapidement cet article de l’Observatoire des médias. Il s’agit du 3e volet d’une enquête plus complète, si j’ai bien compris, et je n’ai pas lu les deux premiers. Je peux donc avoir raté la réponse à la question que je pose : a-t-on demandé à la 50e d’anciens journalistes interrogés, afin de savoir ce qui les avait poussés à quitter la profession si, dès leur entrée dans celle-ci, ils s’étaient posé le problème de savoir s’ils étaient bien faits pour elle ? Car, compte tenu des thèmes abordés avec eux par les chercheurs et des réponses apportées à ceux-ci, je me demande si ce problème a été abordé ? Et je pose la question ci-dessus car, bien avant que la situation de la presse et des des médias se détériore (et même après ) j’ai eu l’occasion de me demander, voire de constater, que certain(e)s de mes con(soeurs)frères semblaient être devenus journalistes comme on devient tout autre chose. Et leur déception vient peut-être de là (nonobstant en effet les évolutions peu amènes de la profession) : le journalisme (en tout cas celui que nous sommes pas mal à avoir pratiqué) n’est pas un métier comme les autres (!).
Ayant été « chef » je ne vais pas me gêner pour mettre en cause la façon dont la hiérarchie est vécue et exercée. Les retours des premiers stages des étudiants de l’ESJ dont je prenais connaissance depuis le début des années 2000 m’ont alerté d’année en année sur le poids croissant des hiérarchies, avec deux pressions principales : rendre un travail coûte que coûte comme prévu décrit et déjà conclu par le chef (en audiovisuel surtout), dans des délais de plus en plus court. Plus aucune possibilité de revenir en disant que cela ne vaut rien, ou que c’est différent de ce que pense le chef. Surtout dans les cas de micro-trottoirs déjà programmés. Poids excessif du « siège » qui sait mieux que l’envoyé de terrain ce qui se passe. Bien sûr il y a des exceptions, mais j’ai vu monter cette pression des hiérarchies au fil des années, hiérarchies elles mêmes sous pression de dirigeants pas toujours mus par le seul objectif du journalisme. Individualisation du travail, perte du travail confraternel. Dans une formation de jeunes journalistes à l’étranger, la semaine dernière, insistant sur la nécessité de se faire relire, j’ai sidéré ces jeunes confrères en leur révélant que jamais, rédacteur, rédacteur en chef ou directeur de publication, je n’ai publié un article sans le faire systématiquement relire à un confrère, parfois au jeune stagiaire. C’était pourtant une règle autrefois que cette relecture confraternelle mais exigeante.
Merci Loïc pour ton commentaire, qui est un encouragement à continuer de creuser.
Cher Hamon dans chaque entretien nous avons demandé les motivatoins de départ, d’où mon allusion au « métier passion. » La moitié des personnes interrogées ont fait une formation reconnu. D’où concours sélectif, beaucoup de travail pour réussir ce mur à l’entrée… Il n’y a pas beaucoup de personne sur la cinquantaine qui sont arrivés par hasard… Mais il y en a, quelques uns… très peu.
Bonjour, merci beaucoup pour ce travail.
Je voulais juste signaler qu’une coquille s’est glissée dans le dernier paragraphe : il est écrit « automne 2021 » au lieu d’automne 2020.
Merci beaucoup
Je me souviens du jour ou après tant d’années à galérer dans l’interim, J’ai enfin pu suivre une formation de journaliste auprès de l’EmiCFD alors située à Belleville. L’une des premières phrases que l’on servait aux stagiaires, lors de la présentation de la profession était :« le journalisme n’est pas une profession très accueillante». C’était en 1995. Pour ma part j’étais déjà au courant, pour avoir tenté à de nombreuses reprises et avoir affronté le peu d’aménité, la morgue ou la condescendance de plusieurs rédacteurs en chef en essayant de vendre mes talents de photographe. Pour la plupart des autres stagiaires, cela faisait l’effet d’une douche froide, mais nous ne sommes pas journalistes pour parler la langue de bois et j’ai trouvé que c’était plutôt honnête de commencer par là. Pourtant, à cette époque, l’ambiance professionnelle était encore assez loin de ce qu’elle est devenue depuis, notamment avec l’arrivée des médias en ligne et la quasi obligation pour un journaliste actuel, d’être à la fois rédacteur, photographe, vidéaste, informaticien, iconographe, archiviste et tutti quanti. Dans des rédactions disposant (faute d’assez de lecteurs payants) de moins en moins de moyens et dont le personnel se réduit comme peau de chagrin, la pression se fait de plus en plus forte. Journaliste de presse spécialisée, il m’est arrivé peu de temps avant d’être licencié pour raisons économiques de travailler sur un salon durant 72 heures (un week-end) presque sans dormir. Texte et photos, je devais préparer un ou plusieurs sujets pour le magazine papier, publier directement et régulièrement sur le site web des articles « pour dire qu’on est sur le terrain» et promouvoir les articles papiers à vendre. Même lorsque l’on a une certaine habitude de ce genre de travail, c’est d’autant plus lourd que l’on essaie de faire son métier au mieux et de ne pas sacrifier la qualité due au lecteur. C’est aussi d’autant plus lourd que ce genre d’évènement arrive après une semaine de rubrique bien chargée et que la reconnaissance de la part de la hiérarchie, présente à divers moments sur le même salon, «pour serrer des louches» n’est pas au rendez-vous. Laquelle hiérarchie, ne s’est pas fendue d’une photo ou du moindre entre-filet, pas plus d’ailleurs que les collègues des autres rubriques eux aussi venus rencontrer d’éventuelles sources d’information ou même simplement pour leurs loisirs. Lors de nos formations l’on nous a pourtant bien appris qu’il s’agissait d’un «travail d’équipe». Lorsque l’on vit de tels moments, et cela m’est arrivé sur ce même évènement plusieurs années de suite, il est compréhensible que des consœurs et confrères moins endurants ou moins passionnés par le métier décident de le quitter. Ceci d’autant lorsque l’on constate que la pérennité de votre emploi et le sens de votre travail dépend de personnes qui n’écrivent plus d’articles depuis des lustres, si elles en ont même déjà écrit, ne sont plus que des gestionnaires, pas toujours les plus aptes pour ce faire, trop routiniers ou imbus pour bien écouter les retours et les propositions de leurs journalistes de terrain. La principale question que je me pose en lisant l’étude ci dessus, les commentaires de mes confrères, les diverses communications syndicales traitant du sujet, c’est dois-je encore encourager un jeune à entrer dans le métier lorsqu’il me demande ce que j’en pense.
Totalement d’accord avec Loïc Hervouet. « Chef » moi aussi pendant 25 ans j’ai fait les mêmes constats, effectivement à partir de 2000, 2005. Et constaté de manière semblable l’arrivée massive de nouveaux cadres de rédaction qui n’ont plus du tout les mêmes objectifs. Des cadres qui désormais semblent assez loin du journalisme.
Cher Jean Marie Charron pardon, mais on peut ne pas arriver dans la profession de journaliste » par hasard » en se trompant de voie. Tout comme en faire une » passion » AVANT de l’exercer et s’être trompé de passion. Personnellement, journaliste depuis 1969, il s’agissait d’une passion même plus, d’une vocation. Cela ne m’empêchait pas, avant de l’exercer dès l’âge de 17 ans, de m’imaginer en Tintin ou en Albert Londres. Je me suis vite aperçu que la comparaison entre ces personnages et mes premiers rôles dans le métier était tronquée. Ça ne m’a pas empêché de persévérer et de faire un » honnête » parcours. Mais une part de ma réflexion se base sur la seconde partie de celui-ci. Entre 1995 et maintenant j’ai dirigé ma propre agence de presse d’informations générales, texte et illustrations. Certes les temps avaient changé et les façons de faire aussi… chez une partie d’entre nous. J’ai préféré faire – et faire faire – comme je l’avais appris. Et cela nous a plutôt réussi, même si, étant tous payés à la pige ( moi le premier tout directeur-gérant que je suis), les fins de mois n’étaient pas toujours aisées. Et pourtant les premiers réseaux naissaient en 1997 (Weblog, Hotmail et Six Degrees).. Des chaînes d’infos en continu aussi (LCI en 94 et I Télé en 99). Fournisseur de la presse écrite à 80/90%, nous n’avons pourtant pas changé nos méthodes de travail pour un iota, face à ces pionnières. Pour une raison simple : elle font de l’info, on ne peut le leur dénier, mais pas du journalisme comme les gens de ma génération ont appris à le pratiquer et continuent à le faire. Mais mon constat sur la motivation des journalistes ne se trouve pas là. J’en ai vu arriver avec la passion au coeur ! Mais certains l’accommodaient d’exigences tirées de la » civilisation des loisirs » , parfois peu compatible avec celles du métier. Sans compter, loin cependant d’en arriver au stade décrit dans votre enquête par certains, des contingences horaires, de WE, là encore difficile à accorder avec le suivi des enquêtes que nous menons. » Planquer » devenait un mot parfois imprononçable, Partir sur un sujet un samedi provoquait des incompréhensions de part et d’autres… Et – pardon – mais la passion ne rend pas grand chose si on ne lui donne parfois un peu… Sans pour autant que ce soit systémique. Enfin, vous parlez de formation, de concours/barrage lourd à franchir. Une fois encore, désolé. Mais c’est dans une prestigieuse école, où ma fédération professionnelle (la FFAP) tenait son AG annuelle, que j’ai entendu prononcer pour la première fois, deux mots qui me sont apparus peu compatibles avec l’exercice d’une passion. Dans son petit discours de bienvenue, le sous-directeur de cette » Mecque » du journalisme nous a expliqué qu’il était bien content en face de lui et de ses dernières années d’études les représentants des 200 principales agences de presse françaises. Car, selon lui, nous allions pouvoir lui expliquer comment son école allait pouvoir » formater » pour nous, ceux de leurs étudiants susceptibles de venir frapper à nos portes. Formater ? Mais qu’ils nous les » formatent » déjà journalistes, ce serait une bonne chose ! Le second mot que j’ai appris ce jour-là, c’est que l’on inculquait à ces jeunes gens la manière de » fabriquer du contenu « . Quel vocable curieux pour une passion… Je passe sur le jeune homme dont la sienne était de trouver un genre journalistique qui pourrait le » faire voyager « … Mon confrère et magnifique reporter photographe Henri Bureau lui a alors répondu qu’il ne comprenait pas la quête de cet étudiant en journalisme, ma foi fort sympathique, car il était patron d’une agence de presse, pas d’une agence de voyage… Donc, je le répète, à mes yeux, sans doute l’évolution de la profession n’a pas arrangé la façon d’assouvir la » passion » des uns, mais d’autres, même passionnés, se sont peut-être bien trompé de voie dès le départ sans le savoir tout à fait… ou de passion.
« On a là quelque chose comme la face sombre de la mutation en cours des médias et singulièrement des rédactions. »
Est-ce vraiment ça ?
Dans mon milieu, qui n’est pas le journalisme mais lui aussi traversé de multiples considérations politiques, je remarque un effort surtout à résister à une pression dont on ne connait pas la forme et des tentatives dans tous les sens pour empêcher les mutations. Et il ne s’agit même pas de l’objet du métier de l’entreprise, qui finalement pour beaucoup est de faire comme avant sans en connaître véritablement la signification socio-économique, systémique, mais surtout tenir la structure hiérarchique traditionnelle… je pense qu’il y a énormément d’énergie dépensée à ce niveau.
Bonjour,
Merci et bravo pour cette enquête, que j’ai lue avec beaucoup d’intérêt. Je me suis reconnu dans un certain nombre de raisons exposées par les personnes qui y ont répondu.
Je me permets simplement de vous signaler que ni « vécu » ni « ressenti » ne peuvent être utilisés comme vous le faites (notamment en conclusion) car ce sont des participes passés et pas des noms communs ;) Préférez-leur donc respectivement « expérience » et « sentiment », par exemple.
J’ai été moi-même journaliste pendant dix ans, essentiellement dans le magazine télévisé, avant de choisir de me reconvertir dans le marketing digital – aussi surprenant que cela puisse paraître – il y a un et demi. J’en suis globalement heureux et j’accepterais très volontiers de vous faire part de mon témoignage ; je crois comprendre en effet que votre enquête se poursuit.
Bien à vous,
Félix Briaud.
Bonsoir,
Oui bien sûr, merci de cette proposition. L’idée n’est pas forcément de multiplier les entretiens de base. Je vous propose plutôt de repartir de vos réactions sur cet article. Cela peut être par un échange de mail ou via un rdv Zoom, selon votre préférence. L’adresse pour l’échange de mail est : jean-marie.charon@orange.fr . A tres vite et encore merci pour cette offre. Jean-Marie