J’ai pu rencontrer Emmanuelle Veil, journaliste. Historienne de formation. Elle est spécialiste des questions de société, et est passée par L’Express avant de rejoindre Charlie Hebdo. Puis, après avoir lancé en 2011 le magazine satirique Siné Mensuel en tant que rédactrice en chef, elle développe un nouveau projet : Le journal minimal.
« Cela fait trois ans que je suis sur le minimalisme, et tout s’est agrégé pour créer ce journal. J’ai développé le projet au 100, 100 rue de Charenton, un établissement culturel solidaire qui développe des projets plutôt des projets artistiques à la base, mais le projet leur a plu et je les ai rejoints en janvier 2014 » nous confie Emmanuelle.
L’idée de ce projet est donc de faire un journal minimaliste dans sa forme, et sur le fond, dans sa ligne éditoriale. Emmanuelle est donc actuellement employée par « l’association Minima », dont le but principal est de publier le journal, mais aussi de mener des actions pédagogiques, de faire de l’édition.
Un média de niche, donc, mais « on retrouve le minimalisme dans la culture, politique, social… C’est un thème qui se retrouve un peu partout », rassure la créatrice du projet.
Pour démarrer le journal minimal, une levée de fonds de 6000 euros a été lancée sur Ulule : « J’ai rencontré plusieurs personnes chez Ulule, qui m’ont dit qu’un projet sur deux réussissait à lever des fonds. Pour les projets presse, c’est assez difficile, c’est seulement 52% de réussite ». Mathieu Maire du Poset, chez Ulule, avait prévenu Emmanuelle que ce serait encore un peu plus compliqué pour Le journal minimal, le projet ne proposant pas de vraies contreparties « garanties ». Mais cela ne l’a pas découragée : « J’aurais pu moi-même demander ces 6000 euros, mais là, c’est plus drôle que d’aller voir moi-même les gens ».
Voici la présentation du projet, une vidéo postée sur Youtube et Ulule :
Au moment de notre interview, cette semaine, Emmanuelle Veil la levée de fonds était presque bouclée. C’est désormais chose faite. Depuis notre interview, la levée de fonds de 6000 euros a été réussie, et les dons continuent d’arriver sur la page du projet, et Emmanuelle espère que cela va continuer, car Ulule garde une commission de 8%.
Hormis la page Facebook et ses 259 like et le compte personnel de la fondatrice, pas d’autres relais médiatiques, pour le projet : ce sont donc bien les « friends and family » qui ont principalement contribué, avec des inconnus qui ont découvert le projet sur Ulule.
Pour faire fonctionner son association, Emmanuelle Veil a aussi répondu à des appels à projets : « la COP21 arrive en fin d’année, et le journal va parler énormément de ces problématiques, qui vont nous fournir des fonds pour le lancement ». L’association Minima bénéficie aussi d’une aide de l’état pour qu’Emmanuelle puisse en être salariée.
Emmanuelle veut rassurer : « L’apparence du journal sera minimale, mais la manière dont il est fabriqué est également minimale, et mon salaire aussi ! »
Quel sera le modèle économique du journal minimal ? Il fonctionnera avec des dons.
Les auteurs, pendant la première année, seront bénévoles, et le journal sera gratuit, et sans publicité. Les auteurs iront écrire pour Le journal Minimal « parce que la ligne éditoriale leur correspond » nous dit Emmanuelle Veil, qui cite l’encyclopédie gratuite : « nous serons dans le modèle économique de celui de l’internet des origines, on est dans l’économie du don, un peu comme wikipedia ».
Emmanuelle Veil cite Marcel Mauss : « Le modèle économique du journal repose sur le principe du don, ce mode d’échange entre les humains qui ‘vise davantage à être qu’à avoir’, comme l’écrivait l’anthropologue Marcel Mauss, parlant à cet égard de ‘fait social total’. Faire un don au journal c’est pour nous avoir la possibilité de le publier dans des bonnes conditions : c’est-à-dire sans publicité, et gratuit, donc accessible : « on va essayer de proposer des choses de l’ordre du sensible : du son, de l’image, la vidéo« .
Mais comment va se passer la suite, une fois le journal créé et lancé? « Il peut y avoir un certain nombre de lecteurs qui peuvent devenir parrains ou soutiens, de la même manière qu’on donne à Greenpeace, ou à la LPO », répond Emmanuelle Veil. « On deviendra acteur et soutien du journal minimal. Le but serait un jour de payer les gens, via les dons des autres. »
Voici quelles seront les formules proposées aux lecteurs du journal minimal :
– formule de soutien à 3 euros par mois;
– formule « parrain » du journal à 14 euros par mois;
– formule « bienfaiteur » : 500 euros par an.
« Les parrains seront au courant du fonctionnement de l’association, sauront comment est utilisé leur argent, et seront invités à l’assemblée générale » veut rassurer Emmanuelle Veil : « la presse peut peut-être fonctionner comme une ONG, à partir du moment ou on est garants de valeurs fortes ».
Techniquement, Le journal minimal a choisi une agence spécialisée dans l’open source qui utilisera WordPress pour le site, et nous a un contrat de maintenance avec elle pour la suite du projet.
Le rythme de publication sur le site sera bihebdomadaire. Le mardi et le vendredi. Pourquoi? « Car je pense que c’est des jours où on est plus disponibles pour lire la presse. On est plus frais, et le vendredi, on est un peu plus cool. » Ainsi Le journal minimal pourra publier, par exemple, le mardi et le vendredi, un groupe de trois ou cinq articles, comme seulement un.
Interrogée sur d’éventuels partenariats ou reventes de contenus (comme le fait par exemple le tout nouveau Cheek Magazine avec Les Inrocks, : « on y a pas encore pensé ».
Emmanuelle Veil, la porteuse du projet, a commencé à 18 ans à l’Événement du jeudi. Des stages au Parisien , au Monde, suis rentrée à L’Express en 94, où elle a passé 5 ans, avant de rejoindre Charlie Hebdo en 2001 où elle est restée 8 ans. Elle a ensuite créé le magazine satirique Siné Mensuel en tant que rédactrice en chef, « le journal qui fait mal et ça fait du bien » où elle a travaillé pendant un an.
Impossible de ne pas parler à Emmanuelle de Charlie Hebdo.
Après le 7 janvier, Emmanuelle ne s’est pas portée volontaire pour aller retravailler à la rédaction de l’hebdomadaire satirique : « Revenir à Charlie, alors que je l’avais quitté, cela ne s’est pas fait. J’avais vu qu’il y avait déjà des candidats pour les aider, et puis j’étais allée à Siné , donc j’imagine que cela aurait été difficile pour eux et pour moi ».
Qua va faire Charlie Hebdo de ses nouveaux millions d’euros? « L’argent doit servir au journal et pas aux actionnaires. Il doit revenir aux collaborateurs du journal« , insite l’ex salariée du journal.
Emmanuelle Veil se souvient :
« J’étais à Charlie au moment des caricatures de Mahomet. Nous, on était menacés, j’étais beaucoup là, j’avais peur. Lorsqu’est arrivé le bénéfice des ventes du numéro avec les caricatures, tout est allé aux actionnaires. Les gens qui étaient jamais là palpaient, et nous, nous avions eu en tout et pour tout 1500 euros de prime de risque. Je m’étais dit à ce moment-là : ‘Philippe Val est un voleur’. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, ils reproduisent ça. Je n’ose pas imaginer l’ambiance atroce qui règne là-bas. Un journal de gauche alternatif comme Charlie Hebdo doit être exemplaire. L’idée d’une coopérative leur correspond plus : ce n’est pas un journal capitaliste, ce n’est pas ce qu’il défend. »
Et lorsqu’on lui demande quels avaient été ses faits d’armes à Charlie Hebdo, Emmanuelle Veil répond du tac au tac, en assumant le côté Elise Lucet de la démarche :
« J’ai fait tomber un ministre, Renaud Dutreil, raconte Emmanuelle Veil. « J’avais voulu assister à une conférence à laquelle le ministre participait, en tant que journaliste de Charlie Hebdo. Je n’ai pas été accréditée. Je m’étais donc déguisée en ultralibérale convaincue, avec un tailleur, des talons, et je m’étais faufilée à la fondation Concorde, où Renaud Dutreil, qui était ministre de la Réforme de l’Etat en 2004, allait parler de la fonction publique. Je pense qu’ils m’ont pris pour une des leurs. Le ministre s’est lâché et a dit tout le bien qu’il pensait des fonctionnaires. La citation qui avait mis le feu aux poudres et conduit, quelques mois plus tard à son éviction du gouvernement, était la suivante : ‘le problème que nous avons, c’est que les gens sont contents des services publics' »
Voici l’article en question [PDF] :
Alors, après avoir travaillé chez Charlie Hebdo, fait de l’investigation, pourquoi créer désormais un ‘journal minimal’? « J’ai désormais envie de parler avec empathie et douceur de l’actualité. À Charlie et à Siné, tu critiques, tu critiques, et tu tournes en rond« , confie Emmanuelle Veil. « J’avais une envie de faire des choses positives, sans pour autant faire de la « feel good » presse. C’est le désir de ne pas être dans la chose noire. Il ne s’agit pas de pas de parler des trains qui arrivent à l’heure, mais des trains qui arrivent en avance. Les possibilités du numérique sont énormes, cela m’attire beaucoup. La presse satirique reste avec quelque chose d’ancien qui me correspond plus. Le fait d’être sur Internet, cela laisse la place de faire du sensible, de l’expérimentation« .
Rendez-vous à la rentrée, l’ouverture du site est prévue fin septembre début octobre.
Créateur et rédacteur en chef de L'Observatoire des Médias. Journaliste, consultant. Conseil strat. digitale. Intervenant : ESJ-CFPJ-IPJ-CELSA. Ex Libé, LePost.fr.